Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
Vom Netzwerk:
serait leur perte. Mais Napoléon n’avait pas l’habitude des demi-victoires. Il voulait Moscou. Il était persuadé que les Russes se battraient pour sauver leur vieille capitale (elle était appelée ainsi, car, depuis un siècle, l’administration avait été transférée à Saint-Pétersbourg, la nouvelle capitale) et qu’il aurait donc enfin l’occasion d’écraser leur armée. Alors, forcément, le Tsar accepterait de négocier, pensait-il. De plus, l’Empereur craignait les réactions des pays qu’il maintenait sous sa domination. Comment auraient réagi l’Autriche, la Prusse et les États allemands de la Confédération du Rhin s’ils ne l’avaient pas vu remporter une victoire totale contre les Russes alors qu’il avait disposé de quatre cent mille soldats ? Les imprécations silencieuses auraient risqué de dégénérer en contestation puis en révolte ouverte... Et de toute façon, n’était-il pas Napoléon ? Alors ce serait Moscou.
    *
*   *
    Le 23 août, le 4 e corps se remit en marche. La palette des sentiments des soldats s’étendait du gris sale de la morosité jusqu’au noir désespérément uniforme du découragement. On trouvait aussi souvent le rouge écarlate de la colère. Beaucoup avaient cru la campagne terminée et personne n’avait envie de reprendre cette marche infernale.
    Lefine avait réussi à se procurer un konia, cheval russe d’une espèce endurante. Ces bêtes étaient très petites. Les Français qui les montaient déclenchaient les rires : corps immenses juchés sur ces sortes de poneys et jambes pendant jusqu’à terre. La veille, Lefine et Margont étaient retournés à Smolensk. Ils avaient examiné les demeures dans lesquelles avaient logé leurs suspects la nuit du meurtre. Les bâtisses étaient immenses et on pouvait aisément les quitter discrètement. Ils avaient décidé de recruter quelques hommes de confiance supplémentaires pour seconder leurs espions. La surveillance se poursuivait, même si elle avait été démasquée. Le 84 e venait de se mettre en mouvement lorsque Margont eut un sursaut. Il devint pâle. Lefine, qui chevauchait à côté de lui, le fixa avec consternation. Il avait déjà vu des visages semblables. Ceux de camarades frappés par une balle. Margont semblait avoir encaissé de plein fouet un coup de feu sans détonation.
    — Ça va, mon capitaine ?
    — Je crois... Je crois que j’ai compris pourquoi l’assassin a répandu ces aliments sur la deuxième victime, pourquoi il a arraché les pages d’un livre...
    — Ah bon ? Il y a une explication à ça ?
    — C’est un autre de ses jeux de mots codés. Il lui badigeonne le visage de confiture de mûres et dépose sur son corps un atlas, la reliure d’un livre – seulement la reliure puisqu’il en a arraché les pages –, des morceaux de lard, c’est-à-dire de la graisse, des oeufs cassés, des noix et des feuilles de thé. Mûres, atlas, reliure, graisse, oeufs, noix, thé : MARGONT.
    Ce fut au tour de Lefine d’être frappé par la balle silencieuse.
    — Mais... Comment...
    — Puisqu’il a découvert qu’il était surveillé, il a dû à son tour engager un espion. Celui-ci a suivi l’un de tes hommes. Il est ainsi remonté jusqu’à toi, et de toi jusqu’à moi.
    Lefine jetait des regards inquiets dans toutes les directions.
    — Et s’il nous fait couper le cou ? Qui vous dit qu’on ne nous retrouvera pas un matin avec des mûres écrasées sur la figure ?
    Margont se montrait de plus en plus serein. Son sang-froid était un mystère pour son ami. Il demeurait calme dans une situation pareille et, inversement, il était paniqué par l’inactivité que Lefine jugeait, lui, agréablement reposante.
    — Il doit penser que ce serait une erreur de nous tuer, expliqua Margont. Nous serions remplacés par le capitaine Dalero. Et si ce dernier disparaissait, un autre prendrait sa suite. Mieux vaut pour notre suspect savoir exactement à qui il a affaire. En fait, il y a même une bonne nouvelle.
    Le 84 e traversait un village que l’armée russe avait incendié en se repliant. Elle y avait abandonné les corps d’une soixantaine de blessés intransportables. Presque tous étaient morts et des Portugais aux uniformes bruns les enterraient. « Qui voit une bonne nouvelle quelque part ? » se demanda Lefine.
    — Si notre homme avait voulu nous assassiner, reprit Margont, il ne nous aurait pas fait savoir qu’il nous avait

Weitere Kostenlose Bücher