Les Rapines Du Duc De Guise
la
concorde dans les esprits divisés et égarés.
Mais aujourd’hui, tout allait recommencer. On
disait que la Ligue [23] se
ranimait à Paris alors qu’Henri de Navarre tenait la Guyenne, le Périgord et la
Saintonge. La France ne pouvait avoir trois rois, tous nommés d’ailleurs Henri,
comme par une ironie du destin. Guise, le Lorrain, par son armée et sa
popularité, savait qu’il avait le royaume à portée de main ; le Béarnais, lui,
avait la légitimité de la race ; quant au dernier Valois, impuissant et
enfermé dans son Louvre, les prédicateurs fanatiques appelaient à sa mort. Pour
échapper à ces furieux, il n’avait pas d’autre choix que de faire semblant de
soutenir Guise et de s’opposer au roi de Navarre. Tout se résumait ainsi, comme
le rapportait une chanson : Henri veut, par Henri, déshériter Henri.
Disgracié et chassé de la cour, le marquis d’O
s’était rapproché du duc de Guise et lui avait fait allégeance. Un gentilhomme
de son rang devait avoir un suzerain, et vers qui d’autre aurait-il pu se
tourner puisque le roi l’avait chassé ? Certes le duc n’avait plus aucun
crédit à la cour, où il ne résidait pas, mais sa puissance était formidable
tant il était adulé du peuple pour sa ressemblance avec son père, le premier Balafré, celui qui avait sauvé Paris de l’invasion espagnole.
Et puis Guise lui avait assuré qu’il resterait
sujet du roi de France. Il lui avait juré qu’il souhaitait uniquement que le
cardinal de Bourbon soit reconnu comme héritier du royaume, en tant que
descendant du sixième fils de Saint Louis, plus proche de Louis IX que son
neveu [24] Navarre. Le marquis en avait poliment convenu et l’avait assuré de sa
fidélité.
Ainsi, par cet engagement, O se savait
désormais félon à son roi.
Chassant ces pensées déplaisantes, le marquis
brisa le sceau de cire rouge.
Cher et bien aimé
monsieur d’O,
Je sais que vous ne vous départirez jamais
de l’affection et de la fidélité que vous portez au bien de mon service.
Je ne vous ai point oublié, mon fidèle
économique, et ce sera un plaisir de vous voir.
Je vous attends bien vite et je prie Dieu
qu’il vous donne en santé très longue et très heureuse vie.
Donné à Paris, le 3 janvier 1585.
Il n’y avait pas de
signature. C’était inutile. François d’O avait tant et tant refait cette
écriture qu’il la connaissait parfaitement.
Au-devant de la lettre, sous le sceau, était
écrit : À monsieur d’O, gouverneur du château de Caen.
— Qui vous a
remis cette lettre, monsieur ? demanda-t-il au messager.
Petit, sombre de peau, l’homme avait tout du
brigand de grand chemin, et ne masquait même pas son arrogance. Corselet de
cuivre sous un manteau sali par la boue et la neige, chevelure et barbe en
bataille, il tenait son bassinet à la main. Ses bottes à éperons de fer étaient
râpées et déformées. Une lourde et large épée de côté, en acier à poignée de
bronze, pendait à son baudrier de buffle où était aussi accrochée une dague de
chasse.
— M. de Villequier, monseigneur.
C’était il y a quatre jours. Panfardious ! J’ai crevé trois bêtes en
galopant comme un forcené. M. le gouverneur de Paris m’avait dit que je
devais arriver avant jeudi. J’ai trois jours d’avance !
O laissa filtrer un sourire sans joie. Il s’approcha
du feu et y jeta le pli, le regard fixé sur le papier qui se consumait. Un
autre lien avec le passé qui disparaissait, songea-t-il avec mélancolie avant
de se tourner à nouveau vers la fenêtre. La neige qui tombait depuis deux jours
paraissait se calmer, mais il était déjà trois heures. Trop tard pour partir ce
soir.
— Comment vous appelez-vous, mon ami ?
— Eustache de Cubsac, monseigneur.
— Gascon ?
— Oui, monseigneur.
— Je suis satisfait de vous. Je le dirais
à M. de Villequier. Vous êtes à son service ?
— Non, monseigneur. Je ne suis au service
de personne. C’est M. de Montpezat qui m’a recommandé à M. de Villequier.
— M. de Montpezat ? J’ai
connu un jeune François de Montpezat, baron de Laugnac, au service de M. de Nogaret,
remarqua O avec une once de méfiance. On le surnommait l’homme de proie malgré
son jeune âge.
En raison de sa brutalité et de son ambition
démesurée, le marquis d’O n’avait jamais apprécié Jean-Louis de Nogaret, duc d’Épernon.
Il savait qu’Épernon s’était réjoui de sa disgrâce qui
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