Les Rapines Du Duc De Guise
lui laissait le champ
libre auprès du roi. Si ce Cubsac était à Épernon, quel piège cela cachait-il ?
— C’est bien lui, monsieur. M. d’Épernon
s’inquiète pour la vie du roi, monsieur, reprit le Gascon avec fougue. Il a
demandé à M. de Montpezat de faire venir des gentilshommes gascons qu’il
connaît personnellement afin de constituer une garde rapprochée autour de Sa
Majesté. Hélas pour moi, je suis arrivé trop tard à Paris et toutes les places
étaient prises.
— Expliquez-moi ça… pria le marquis d’O
plus chaleureusement, maintenant rassuré devant l’expression piteuse du
messager.
— M. d’Épernon avait décidé que
cette garde serait formée de quarante-cinq gentilshommes, monsieur. Quinze étant
à tour de rôle autour du roi en permanence. Je suis le quarante-sixième ! Je
n’aurai une place que si l’un des autres quitte ou perd sa charge, ce qui n’est
guère probable tant les appointements sont élevés ; ce sont les mêmes que
ceux des gentilshommes ordinaires de la chambre.
— Connaissez-vous quelques-uns de ces
quarante-cinq ?
— Je les connais tous, monsieur ! gasconna
Cubsac d’un ton rocailleux. Il y a mon parent Saint-Malin, M. de Montserié,
ainsi que son frère, M. de Sarriac, Saint-Pol, Pichery, M. de Joignac,
Sainte-Maline…
— Ça suffira ! Quel genre d’hommes
sont-ils ? demanda O, en secouant négativement la tête.
— Des gens comme moi, cap de Bious !
Bon bretteurs et bons buveurs… s’exclama le Gascon avec un air joyeux.
— Je vois, fit O, en l’arrêtant d’un
geste de la main.
Mi-gentilshommes mi-brigands, se dit-il. C’était
bien l’idée d’un barbare comme Épernon !
— Et si je vous proposais d’entrer à mon
service ?
— Ici ? demanda le Gascon en
balayant du regard la pièce d’un regard inquiet.
La salle lui paraissait vraiment sinistre, avec
ses coffres massifs datant du siècle précédent, sa lourde table de chêne, ses
tentures épaisses et poussiéreuses, son fauteuil à haut dossier, cet énorme
bahut ciselé serré contre un lit de sangles pour domestique et ces flambeaux de
résine qui ne produisait qu’une chiche lumière. Quant à la campagne qu’il avait
traversée, elle ne lui avait paru bonne que pour la chasse au loup.
— Vous trouvez peut-être le Louvre plus
attrayant, avec ses corridors obscurs et ses cabinets sans fenêtres ? ironisa
le marquis, qui avait surpris le regard de Cubsac.
— C’est que je veux faire fortune à Paris,
monseigneur !
— Comme vous voulez, répondit O sèchement.
Dimitri, conduis M. de Cubsac aux cuisines. Qu’il mange à satiété et
que mon intendant lui trouve un endroit chauffé pour dormir.
Cubsac se tourna vers l’homme nommé Dimitri. En
arrivant, il l’avait à peine regardé, jugeant qu’il s’agissait d’un valet. Maintenant,
il remarquait sa longue barbe blonde, sa nuque rasée, sa robe en brocart ornée
de fourrure, ses bottes cloutées, et surtout le sabre à sa taille, une sorte de
cimeterre à la poignée incrustée de pierres multicolores. D’où sortait ce
sauvage ? s’interrogea le Gascon. Le nommé Dimitri ouvrit la porte et
Cubsac se tourna vers le marquis d’O qu’il salua avant de suivre l’étrange
domestique.
O resta seul et se tourna vers la fenêtre. La
neige tombait, épaisse et silencieuse, formant un épais rideau blanc qui
masquait l’horizon. Le marquis parut s’abîmer dans la contemplation du ciel
gris. Le passé lui revenait en rafales. À vingt ans, après de solides études, il
était devenu gentilhomme de la chambre de Charles IX reprenant la charge
de son père, capitaine des gardes écossaises. Il avait suivi le roi en 1573, lors
du siège de La Rochelle ; c’est là qu’il avait rencontré Henri, alors duc
d’Anjou, et gagné son estime. Le duc en avait fait son secrétaire particulier, car
il était l’un des rares à la cour à avoir reçu une véritable éducation.
Lorsque Henri était devenu roi de Pologne, il
était parti avec son avant-garde, en compagnie de son frère Manou. Quand le roi
l’avait rejoint, c’est à lui qu’il avait demandé de rédiger sa correspondance
secrète ; il s’acquittait aussi des missions les plus confidentielles. C’est
à ce titre qu’il était rentré en France en 1574, dès qu’Henri avait appris que
son frère Charles IX était au plus mal. Le roi voulait un fidèle capable
de l’informer rapidement de ce qui se
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