Les Rapines Du Duc De Guise
Cubsac.
Chaque coup de pistolet porta, puis ce fut le
combat rapproché, au corps à corps, épée contre fourche. Ce fut une brève furie.
Les premiers coups de mousquet avaient décimé les gueux et, au moment de la
charge, une dizaine d’entre eux s’enfuirent. Ne restèrent que six ou sept
hommes au courage désespéré, vite blessés ou tués par les lames des assaillants.
L’échauffourée sanglante se termina en moins
de temps que pour dire une patenôtre.
Cubsac à lui tout seul avait tué trois hommes
par ses prodigieux revers de taille, mais il avait été atteint d’un coup de
fourche, heureusement dévié par sa cuirasse. Son bras était légèrement navré. Le
cheval de Charles s’était écroulé sous un coup de faux dans le jarret mais le
valet était indemne. Trois des gueux étaient atteints de plusieurs coups de
lame et perdaient leur sang, couchés dans la neige en gémissant. L’un avait
même le ventre ouvert d’où sortaient ses entrailles fumantes dans l’air glacé.
— On poursuit les autres, monsieur ?
demanda Dimitri avec férocité.
— Non, pends ces trois-là avec leur corde.
(Il désigna un chêne.) Ils resteront exposés au bord du grand chemin et
serviront d’exemple. Puissent-ils effrayer ceux qui seraient tentés de les
imiter.
Dimitri, aidé de Bertier, s’exécuta, mais
comme la corde était insuffisante, ils n’accrochèrent que deux des pauvres
hères qui se débattirent un instant avant de mourir.
Cubsac interrogea le marquis du regard. Devait-il
achever le blessé en lui coupant la gorge ?
O hésita. La fièvre du combat était retombée. Le
sol était rouge de sang. Il leva les yeux vers le ciel gris, les premiers
corbeaux tournaient au-dessus d’eux. Comment font-ils pour savoir si vite qu’ils
ont à manger ? se demanda-t-il comme chaque fois après un affrontement.
Il essuya son épée sanglante sur l’encolure de
son cheval et la glissa dans le fourreau.
— Laisse-le ! Que Dieu et la Vierge
lui viennent en aide.
Cubsac eut une moue désapprobatrice avant de
diriger sa monture vers les bêtes de bât pour aider Charles qui déjà ôtait les
bagages de l’une d’elles pour disposer d’une monture. Dimitri tira sans
ménagement le blessé agonisant sur le bord du chemin, ramassa les mousquets, puis
entreprit de les recharger avant de remonter en selle. Les autres rechargèrent
aussi leur pistolet tandis que Cubsac, qui n’avait pas utilisé le sien, avança
son cheval sur le chemin pour vérifier que la voie était libre. Entretemps, Bertier
avait ôté l’équipement du cheval blessé qu’il avait achevé.
Quand tout fut terminé, ils repartirent sans
un regard en arrière et ne s’arrêtèrent qu’à la sortie du bois, dans une ferme
brûlée, pour avaler le repas froid que leur avait vendu l’aubergiste de l’Aigle
d’Or.
À Neufbourg, ils furent reçus royalement dans
le manoir d’un autre ami du marquis, puis, la nuit suivante ce fut une auberge
dans la ville de Louviers. Le ciel restait gris, mais il n’y avait plus ni
pluie ni neige. La suite du voyage fut plus facile. À Vernon, les auberges ne
manquaient pas, et la nourriture était abondante.
Saint-Germain, leur dernière étape, fut la
plus agréable. O et sa troupe entrèrent dans Paris par la porte Saint-Honoré
dans l’après-midi du dixième jour depuis leur départ de Courseulles.
6.
Lundi 7 janvier, lendemain de l’Épiphanie, le
matin
Assis sur son banc
dans la cour du Grand prévôt de France, Nicolas Poulain méditait donc sur ce qu’il
était advenu durant ces derniers jours quand un homme en noir à l’expression maussade
vint le chercher. C’était l’intendant de l’hôtel qui lui demanda de le suivre.
À l’intérieur de l’hôtel, il n’y avait aucune
décoration, sinon les armes de Richelieu sculptées au plafond de l’escalier. Ils
montèrent au premier étage, puis traversèrent une antichambre meublée de
coffres massifs et d’un dressoir en noyer à deux vantaux, tout vermoulu. L’intendant
ouvrit une porte sans frapper et le fit pénétrer dans une salle glaciale dans
laquelle trônait une imposante armoire à deux corps décorés de médaillons en
relief représentant des figures de divinités antiques.
François du Plessis, seigneur de Richelieu, était
assis à une grande table de travail aux pieds tournés sur laquelle étaient
empilés plusieurs dossiers, ainsi que quelques encriers, des plumes, des canifs
et un
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