Les Rapines Du Duc De Guise
nécessaire à cacheter. Un maigre feu ronronnait dans une immense cheminée
qui enfumait la pièce. Un unique tableau représentant le roi était accroché
dans le dos du Grand prévôt.
Celui-ci leva un regard impatient vers son
visiteur. Des yeux sombres, profondément enfoncés dans un visage blême et
amaigri cerné par une fine barbe noir de corbeau, lui donnaient un air sinistre.
Son pourpoint de velours noir et son toquet de la même couleur renforçaient
cette impression.
— Monsieur Poulain, fit-il. Que me vaut
le plaisir de cette visite ?
Le ton semblait poli mais le regard ne l’était
pas. Pour le Grand prévôt, le mot plaisir avait certainement un sens différent
de celui utilisé couramment. À la question, Poulain perdit ses moyens et fut incapable
de sortir le discours qu’il avait préparé.
— C’est… un honneur, monsieur, que vous
vous souveniez de moi, balbutia-t-il.
— Je n’oublie jamais rien ni personne, répliqua
sèchement le prévôt sans lui proposer de s’asseoir.
Décontenancé, le lieutenant du prévôt d’Île-de-France
oublia ce qu’il avait préparé et déclara brusquement sans reprendre haleine :
— Monsieur le Grand prévôt, il y a quatre
jours, j’ai reçu la visite de deux anciens camarades de collège qui venaient me
proposer de participer à un complot contre Sa Majesté.
Le visage de Richelieu marqua sa stupéfaction.
Il s’attendait à ce que Poulain lui demande une grâce, un passe-droit, ou même
une charge, et nullement qu’il lui annonce ça.
— Que dites-vous ? Quel genre de
complot ? D’abord de qui s’agit-il ? gronda-t-il.
— M. Jean Bussy, sieur de Le Clerc, qui
est procureur au Châtelet, et M. Michelet, qui est sergent… J’ai accepté
leur proposition…
— Quoi ! rugit
cette fois Richelieu en se dressant si brutalement que sa chaise se renversa.
— Je suis policier, monsieur
le Grand prévôt, et je tiens ma charge du roi, expliqua Poulain d’une voix un
peu plus assurée. Dès que j’ai su qu’il y avait un projet de crime contre Sa
Majesté, j’ai jugé qu’il me fallait feindre pour en apprendre le plus possible
afin de vous le faire savoir.
Richelieu se passa la main dans la barbe et
examina son visiteur avec une attention nouvelle. Puis, il redressa sa chaise
et fit quelques pas qui l’éloignèrent de la table. Le Grand prévôt était un
homme particulièrement méfiant. Il connaissait suffisamment les hommes et la
cour pour croire facilement qu’on pouvait dénoncer un complot, simplement par
fidélité.
— Vous les avez rejoints pour les
dénoncer ? Dans quel but ? Vous souhaitez une récompense ?
— Je suis français naturel, monsieur le
Grand prévôt, et j’ai prêté serment de fidélité à mon roi souverain lorsque j’ai
été reçu en l’état de lieutenant en la prévôté de l’Île-de-France. J’ai juré
alors que s’il se brassait quelque chose contre son État, j’étais tenu, sous
peine de crime de lèse-majesté, de l’en avertir, car je vis des gages et
profits que me donne Sa Majesté. Voilà pourquoi j’ai pris la résolution de
venir vous parler [29] .
— Une telle loyauté n’est guère courante,
monsieur. Êtes-vous noble ?
— Non, monsieur, mais je ne connais pas
mon père et je pense qu’il l’était.
Le prévôt s’approcha de lui en hochant la tête.
Peut-être que cet homme ne mentait pas, se dit-il.
— Racontez-moi tout, sans rien négliger.
Poulain commença par la visite que lui avaient
faite Bussy Le Clerc et Michelet, puis il relata l’entretien qu’il avait eu
chez le procureur, en présence de Mayneville.
— Mayneville ! Cet homme est le
maître Jacques du duc de Guise et l’âme damnée du duc de Mayenne ! Que s’est-il
passé ensuite ?
— J’ai accepté d’être des leurs, monsieur,
comme je vous l’ai dit, et je me suis rendu avec eux le lendemain, chez M. de La
Chapelle.
— La Chapelle fait donc partie du complot ?
— Oui, monsieur, il y avait là une
vingtaine de personnes venant du Châtelet et du corps de ville. Les quarteniers
les auraient rejoints et enrôleraient des fidèles à leur cause. Leur
association serait déjà importante. Ils auraient embrigadé quantité de
bourgeois, d’hommes de robes, de commissaires et de sergents, de clercs et de
religieux aussi, pour constituer une union bourgeoise qui s’allierait à la
nouvelle ligue qu’aurait constituée M. de Guise avec ses
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