Les Rapines Du Duc De Guise
Effectivement,
le repas de venaison et de chapon gras semés d’amandes et de dragées fut délicieux
et abondant, et le marquis put avoir une chambre bien chauffée pour lui tout
seul.
Cubsac souffrait de nombreuses gelures et Dimitri
lui montra comment les soigner avec de la graisse de mouton. Charles, le valet
de chambre redevenu soldat, vérifia mousquets et pistolets avec l’homme d’armes,
un gaillard d’une vingtaine d’années, prénommé Bertier et solide comme un roc. Ce
soir-là, le marquis d’O observa avec satisfaction que les épreuves des deux
premiers jours avaient déjà soudé sa petite troupe. Depuis son voyage en
Pologne il savait quelles querelles pouvaient provoquer le mauvais temps et la
faim. Le plus dur du voyage restait à faire : jusqu’à Neufbourg, ils n’auraient
que de médiocres gîtes d’étape.
La nuit suivante, ils s’arrêtèrent dans une
hôtellerie ayant l’aspect d’une petite forteresse avec ses deux tourelles
flanquant un corps de logis enserré autour d’une courtine où on entrait par un
pont-levis. Le dîner – un gibier trop dur et du vin piquant – fut médiocre. L’aubergiste
s’en excusa ; les paysans ne lui portaient plus rien et il achetait la
viande à des braconniers qui lui vendaient à prix d’or les plus mauvais
morceaux. Pour se rattraper, il mit en garde le marquis d’O contre une bande d’écorcheurs
qui écumait la forêt de Fontaine.
Ils repartirent aux aurores, la pluie ayant
remplacé la neige. Ils avançaient très lentement tant la boue collante faisait
peiner les chevaux. Le Gascon jurait sans cesse, ajoutant des « Mordioux ! »
à ses « Panfardious ! » à chaque fois que son cheval s’enfonçait
dans une fondrière trop profonde. Seul Dimitri paraissait dans son élément.
La nuit venue, ils furent logés dans le manoir
d’un ami d’O. Une solide bâtisse de brique et de bois, avec une tourelle et un
pigeonnier octogonal. Leur hôte leur confirma que plusieurs voyageurs avaient
été dépouillés et navrés dans la forêt de Fontaine.
C’est le lendemain qu’ils y arrivèrent. Avant
d’y pénétrer, ils observèrent la forêt un long moment. Les arbres, dégarnis, étaient
couverts de neige et rien ne laissait paraître que des brigands pouvaient s’y
terrer. Les cinq hommes repartirent, épée libre attachée à la dragonne et
pistolets chargés dans les fontes. Cubsac marchait en tête, surveillant les
fourrés et guettant l’embuscade. Ensuite, suivaient O et Dimitri, ce dernier le
mousquet à la main, puis les trois chevaux de bât et, fermant la marche, le
valet et l’homme d’armes, eux aussi avec leur mousquet prêt. À la selle de
Dimitri et de Charles pendait une petite lanterne de fer contenant une
chandelle allumée.
Ceux qui les attendaient au milieu du chemin n’étaient
que des paysans et des valets de ferme armés de fourches et de faux, mais ils
étaient deux grosses douzaines. Leur masure brûlée, leur famille décimée par la
violence des soldats en maraude ou par les épidémies, ils n’avaient plus rien à
perdre et étaient décidés à ne pas leur céder le passage sans les avoir
dépouillés, et sans doute occis pour se venger des atrocités qu’ils avaient
subies.
La troupe du marquis s’arrêta à quatre toises
devant eux. O hésitait. Charger les gueux était courir le risque d’être navré d’un
coup d’épieu ou de fourche. En outre, il avait aperçu une corde, tendue entre
deux arbres, qui gênerait une telle manœuvre.
À la chandelle de sa lanterne, Dimitri alluma
la mèche lente qu’il avait préparée. Charles et Bertier firent de même tout en
s’approchant du marquis, laissant les chevaux de bât en arrière.
— Écartez-vous ! ordonna O aux
maraudeurs.
— Laissez-nous vos chevaux et vos bagages,
répondit fièrement l’un des gueux, ensuite nous verrons si nous vous accordons
merci.
D’un bref regard, O vit que Dimitri et ses
hommes d’armes tenaient leur mousquet prêt.
Cubsac s’était écarté. Épée et miséricorde
déjà en main, il semblait pressé d’en découdre.
— Allons ! ordonna François d’O à
Dimitri.
Les mèches grésillèrent dans la lumière des
mousquets qui crachèrent la mort simultanément. Ceux qui avaient tiré jetèrent
aussitôt leur arme dans un fourré pour saisir leur pistolet glissé dans une
sacoche de selle. Épée dans l’autre main, ils chargèrent en même temps que le
marquis d’O et Eustache de
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