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Les rêveries du promeneur solitaire

Les rêveries du promeneur solitaire

Titel: Les rêveries du promeneur solitaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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mes penchants, il fallait lui sacrifier aussi ma
faiblesse et mon naturel timide. Il fallait avoir le courage et la
force d'être vrai toujours en toute occasion et qu'il ne sortît
jamais ni fictions ni fables d'une bouche et d'une Plume qui
s'étaient particulièrement consacrées à la vérité. Voilà ce que
j'aurais dû me dire en prenant cette fière devise, et me répéter
sans cesse tant que j'osai la porter. Jamais la fausseté ne dicta
mes mensonges, ils sont tous venus de faiblesse mais cela m'excuse
très mal. Avec une âme faible on peut tout au plus se garantir du
vice, mais c'est être arrogant et téméraire d'oser professer de
grandes vertus. Voilà des réflexions qui probablement ne me
seraient jamais venues dans l'esprit si l'abbé Rosier ne me les eût
suggérées. Il est bien tard, sans doute, pour en faire usage ;
mais il n'est pas trop tard au moins pour redresser mon erreur et
remettre ma volonté dans la règle : car c'est désormais tout
ce qui dépend de moi. En ceci donc et en toutes choses semblables
la maxime de Solon est applicable à tous les âges, et il n'est
jamais trop tard pour apprendre, même de ses ennemis, à être sage,
vrai, modeste, et à moins présumer de soi.
     

Cinquième Promenade
    De toutes les habitations où j'ai demeuré (et j'en ai eu de
charmantes), aucune ne m'a rendu si véritablement heureux et ne m'a
laissé de si tendres regrets que l'île de Saint-Pierre au milieu du
lac de Bienne. Cette petite île qu'on appelle à Neuchâtel l'île de
La Motte est bien peu connue, même en Suisse. Aucun voyageur, que
je sache, n'en fait mention. Cependant elle est très agréable et
singulièrement située pour le bonheur d'un homme qui aime à se
circonscrire ; car quoique je sois peut-être le seul au monde
à qui sa destinée en ait fait une loi, je ne puis croire être le
seul qui ait un goût si naturel, quoique je ne l'aie trouvé
jusqu'ici chez nul autre.
    Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que
celles du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y
bordent l'eau de plus près, mais elles ne sont pas moins riantes.
S'il y a moins de culture de champs et de vignes, moins de villes
et de maisons, il y aussi plus de verdure naturelle, plus de
prairies, d'asiles ombragés de bocages, des contrastes plus
fréquents et des accidents plus rapprochés. Comme il n'y a pas sur
ces heureux bords de grandes routes commodes pour les voitures, le
pays est peu fréquenté par les voyageurs, mais il est intéressant
pour des contemplatifs solitaires qui aiment à s'enivrer à loisir
des charmes de la nature, et à se recueillir dans un silence que ne
trouble aucun autre bruit que le cri des aigles, le ramage
entrecoupé de quelques oiseaux, et le roulement des torrents qui
tombent de la montagne ! Ce beau bassin d'une forme presque
ronde enferme dans son milieu deux petites îles, l'une habitée et
cultivée, d'environ une demi-lieue de tour, l'autre plus petite,
déserte et en friche, et qui sera détruite à la fin par les
transports de terre qu'on en ôte sans cesse pour réparer les dégâts
que les vagues et les orages font à la grande. C'est ainsi que la
substance du faible est toujours employée au profit du
puissant.
    Il n y a dans l'île qu'une seule maison, mais grande, agréable
et commode, qui appartient à l'hôpital de Berne ainsi que l'île, et
où loge un receveur avec sa famille et ses domestiques. Il y
entretient une nombreuse basse-cour, une volière et des réservoirs
pour le poisson. L'île dans sa petitesse est tellement variée dans
ses terrains et ses aspects qu'elle offre toutes sortes de sites et
souffre toutes sortes de cultures. On y trouve des champs, des
vignes, des bois, des vergers, de gras pâturages ombragés de
bosquets et bordés d'arbrisseaux de toute espèce dont le bord des
eaux entretient la fraîcheur ; une haute terrasse plantée de
deux rangs d'arbres borde l'île dans sa longueur, et dans le milieu
de cette terrasse on a bâti un joli salon où les habitants des
rives voisines se rassemblent et viennent danser les dimanches
durant les vendanges. C'est dans cette île que je me réfugiai après
la lapidation de Motiers. J'en trouvai le séjour si charmant, j'y
menais une vie si convenable à mon humeur que résolu d'y finir mes
jours, je n'avais d'autre inquiétude sinon qu'on ne me laissât pas
exécuter ce projet qui ne s accordait pas avec celui de m'entraîner
en Angleterre, dont je sentais

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