Les révoltés de Cordoue
sourit et tordit le bras de sa première épouse
avec tant de violence que celle-ci ne put réprimer un gémissement.
— C’est à toi de choisir, nazaréen. Tu veux voir
comment je casse le bras de ta mère ?
Aisha sanglotait.
— Assez ! cria Fatima. Ibn Hamid, non…
Hernando fit un pas en arrière, incrédule devant la
supplique muette qu’il lisait sur le visage de la jeune fille. Il respira
profondément pour calmer les battements de son cœur.
Les yeux mi-clos, le jeune se souvint du conseil d’Hamid.
« Utilise ton intelligence », lui avait dit l’uléma. Ce n’était pas
le moment de se laisser emporter par ses émotions… Sans dire un mot de plus,
Hernando fit demi-tour et s’éloigna, luttant pour contenir sa soif de
vengeance.
23.
Mai
1570
— Miséricorde, Seigneur. Que Votre Altesse nous accorde
sa miséricorde au nom de Sa Majesté, et nous pardonne les graves péchés que
nous reconnaissons.
Telles furent les paroles qu’El Habaquí, prosterné devant
don Juan d’Autriche, prononça au moment de sa reddition.
— Je rends ces armes et ce drapeau à Sa Majesté au nom
d’Abén Aboo et de tous les insurgés dont je détiens les pouvoirs, conclut-il
alors que don Juan de Soto jetait le drapeau à terre.
Avant qu’El Habaquí entre dans la tente, l’étendard coloré
d’Abén Aboo avec sa devise brodée, « Je n’ai pu ni désirer plus ni me
contenter de moins », fut remis aux compagnies d’infanterie et de
cavalerie dûment formées dans le camp. Une longue salve d’arquebuses accompagna
les cris des cavaliers et des soldats avant les prières des prêtres.
El Habaquí obtint du roi le pardon pour les Turcs et les
Arabes, qui resteraient libres afin de pouvoir revenir sur leurs terres.
Philippe II céda car il était pressé de mettre un terme à ce conflit pour
mener la sainte Ligue que lui avait proposée le Pape, et craignait également
que l’arrivée du printemps ne fournisse des aliments aux Maures, leur
permettant de se révolter de nouveau.
Don Juan d’Autriche nomma des commissaires qu’il envoya dans
toutes les Alpujarras pour s’assurer de la reddition totale des Maures du royaume
de Grenade. El Habaquí se chargea du nécessaire pour embarquer Turcs et Arabes
dans les ports désignés par le prince, et Philippe II mit à disposition de
nombreux voiliers et galères à cet effet. La pacification définitive fut fixée
au jour de la Saint-Jean de 1570, date à laquelle tous les Turcs et Arabes
devraient avoir quitté les terres du royaume de Grenade.
Le 15 juin, trente mille Maures s’étaient rendus. El
Habaquí réussit à embarquer à destination d’Alger presque tous les Turcs et
corsaires, mais la plupart des Arabes décidèrent de continuer le combat. Face à
cela, Abén Aboo changea d’attitude et se rétracta : il assassina El
Habaquí, reconstitua des forces dans les montagnes, et reprit la tête de près
de trois mille hommes.
Aujourd’hui les
derniers d’entre eux sont partis et dans la plus grande douleur du monde car,
au moment du départ, il y a eu tant de pluie, de vent et de neige que certains
se plaignaient de ce sort en chemin : la fille à sa mère, le mari à sa
femme, le bébé à la veuve ; et moi je les ai tous déportés de deux milles
dans la souffrance ; il est indéniable qu’assister à la dépopulation d’un
royaume est la plus grande compassion qu’on puisse imaginer. Enfin, Seigneur,
cela est fait.
Lettre de don Juan
d’Autriche à Rui Gómez,
5 novembre 1570
En novembre 1570, Philippe II ordonna l’expulsion de
tous les Maures du royaume de Grenade vers les terres intérieures. Ceux qui
s’étaient établis dans la vega, comme Hernando, Brahim et leurs familles, se
retrouvèrent sous le commandement de don Francisco de Zapata de Cisneros,
seigneur de Barajas et corregidor de Cordoue, qui devait les conduire dans
cette ville pour les répartir ensuite sur les terres de Castille et de Galice.
La vega de Grenade était composée d’une multitude de fermes
à l’ouest de la ville. Il s’agissait d’une région plate et fertile, grâce à un
système d’irrigation organisé et complexe à travers des canaux construits à
l’époque romaine, développé ensuite et perfectionné par les musulmans. Après la
reddition de Grenade devant les Rois Catholiques, l’ancienne distribution de la
terre en potagers et petites parcelles avait pris la forme de métairies :
grandes
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