Les révoltés de Cordoue
ils s’abandonneront à la détresse et se
jetteront dans les bras des chrétiens et de leur religion. Ces derniers
n’attendent que ça. Nous devons maintenir vivante cette illusion. Toutes nos
prophéties l’annoncent ainsi : les musulmans régneront un jour à nouveau
sur Al-Andalus !
Hernando se vit obligé d’adopter cette attitude.
— Dieu, qui octroie le pouvoir, qui humilie, conclut-il
en croisant le regard d’Hamid, nous protégera.
Hernando et Hamid se parlèrent avec les yeux. Les autres
respectèrent ce moment de communion.
— Dieu, susurra alors l’uléma, chantant comme il le
faisait dans les Alpujarras, égare l’un et dirige l’autre. Que ton âme, ô
Mahomet ! ne s’ajoute pas à l’affliction sur son sort. Dieu connaît ses
actions.
Il y eut un autre moment de silence.
— Continuons donc à accepter les promesses d’aide que
nous recevons de la part des Turcs, dit finalement Jalil, rompant
l’enchantement produit par les paroles d’Hamid. Feignons de les accueillir avec
espoir mais veillons dans le même temps à ce que nos hommes ne se rallient pas à
des projets illusoires.
La réunion était terminée. Abbas aida Hamid à se lever. Par
précaution, ils avaient l’habitude de quitter séparément les lieux où ils se
retrouvaient, ménageant un temps d’attente entre le départ des uns et des
autres. Hamid claudiqua jusqu’à la porte de la maison.
— Appuie-toi sur moi, proposa Hernando en lui offrant
son avant-bras.
— Nous ne devons pas…
— Un fils doit toujours servir son père. C’est la loi.
Hamid céda, avec un sourire forcé, et s’appuya sur le bras
du jeune homme. Le fer qui marquait sa condition d’esclave apparaissait dessiné
sur son visage, sillonné de milliers de rides.
— Avec le temps ça disparaît, n’est-ce pas ?
commenta-t-il une fois dans la rue, conscient qu’Hernando regardait du coin de
l’œil ce signe infâmant.
— Oui, admit ce dernier.
— Même l’esclavage ne peut vaincre la mort.
— Mais on peut encore reconnaître nettement le contour
de cette lettre, tenta Hernando pour l’animer, tout en prenant congé, d’un
geste quasi imperceptible, d’un des garçons qui faisait toujours semblant de
jouer calle de los Moriscos.
Hamid marchait lentement, dissimulant la douleur que lui
causait sa jambe handicapée. Le ciel était gris et lourd. Ils passèrent
derrière l’église de Santa Marina et descendirent par la calle Aceituno et la
calle Arhonas pour arriver dans le quartier del Potro, évitant ainsi les rues
très fréquentées proches de la calle de la Feria, pavées pour certaines d’entre
elles, où, le dimanche, se promenaient les Cordouans. De plus, avait pensé Hernando,
dans ce coin de la Ajerquía, ils avaient peu de chance de tomber sur de jeunes
nobles qui auraient décidé de faire la cour à une petite demoiselle en toréant
sous ses fenêtres. Hamid n’aurait pu s’échapper. Cependant, en cette année
1578, comme la précédente, la sécheresse avait isolé la ville, même encore en
octobre, et le manque de pluie provoquait de forts relents de fosses
d’aisances, dans un quartier où les égouts n’existaient pas, pestilence à
laquelle s’ajoutait la puanteur émanant des nombreux dépotoirs où la population
déposait ses ordures. Pour ces raisons, la promenade n’eut rien d’agréable.
— Comment va ta famille ? demanda Hamid.
— Bien, répondit Hernando.
En cinq années de mariage, Fatima lui avait donné deux
enfants.
— Francisco – l’aîné, qu’Hernando avait appelé
ainsi en l’honneur d’Hamid, sans prénom musulman de peur que les enfants ne
l’utilisent – grandit bien, en bonne santé. Et Inés est très belle. Elle
ressemble de plus en plus à sa mère ; elle a ses yeux.
— Si en plus elle a son caractère, ajouta l’uléma,
reconnaissant les qualités de Fatima, elle sera une grande dame. Et
Aisha ? S’est-elle remise de… ?
— Non, le devança Hernando. Elle ne s’est pas remise.
Ils avaient déjà parlé d’Aisha à plusieurs reprises. Quand
elle était sortie de prison, après la fuite de Brahim, elle s’était également
faite à l’idée, étant donné les circonstances, qu’elle resterait seule,
désormais. Alors Hernando lui avait expliqué que si d’ici quatre ans elle
n’avait aucune nouvelle de lui, elle serait en droit de demander le divorce au
conseil. La loi maure le permettait.
— Il faudrait aussi que je
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