Les révoltés de Cordoue
vengé la trahison faite à la communauté maure.
Hernando avait vécu cette période en pénitence permanente, car chaque fois
qu’il se rappelait le silence obstiné de Karim dans la salle de torture de
l’alcázar des Rois Chrétiens, un sentiment de culpabilité l’envahissait, qu’il
croyait seulement tromper au moyen du jeûne et de la prière.
— Il serait mort dans tous les cas, tentait de le
convaincre Fatima, préoccupée par l’apparence de son époux : amaigri,
émacié, avec de grands cernes noirs qui éteignaient le bleu intense de ses
yeux. Même s’il avait avoué, il ne se serait jamais réconcilié avec l’Église et
il aurait été exécuté de toute façon.
— Peut-être que oui…, répondait Hernando, pensif.
Peut-être que non… On ne peut pas le savoir. Ce qui est sûr, ce que je sais
avec certitude, puisque je l’ai vécu seconde après seconde, c’est qu’il est
mort dans la douleur et la cruauté pour avoir gardé le secret de mon nom.
— Celui de tous, Hernando ! Karim a caché le nom
de tous ceux qui continuent à croire au Dieu unique. Pas seulement le tien. Tu
ne peux pas assumer seul cette responsabilité.
Mais le Maure refusait d’entendre les paroles de sa femme.
— Donne-lui du temps, ma fille, avait recommandé Aisha
à Fatima, qui pleurait.
Don Diego annonça à Hernando qu’il devait accompagner le
troupeau de juments à Séville et rester à ses côtés jusqu’à son retour à Cordoue.
Fatima et Aisha se réjouirent, persuadées que ce voyage et ce séjour
parviendraient à distraire Hernando et à l’arracher à l’inconsolable tristesse
qui l’avait envahi et ne le quittait plus, même lors de ses balades
quotidiennes sur le dos d’Azirat.
Début septembre, près de quatre cents juments, les poulains
de un an et ceux nés au printemps se mirent en marche en direction des riches
pâturages des marais du bas Guadalquivir. El Lomo del Grullo se trouvait à une
trentaine de lieues de Cordoue par le chemin d’Ecija et de Carmona à Séville
d’où, après avoir franchi le fleuve, ils devaient se diriger vers
Villamanrique, localité enclavée à côté de la réserve de chasse royale. Dans
des circonstances ordinaires, le voyage pouvait être effectué en quatre ou cinq
journées, mais Hernando et les autres écuyers qui l’accompagnaient comprirent
vite qu’il leur en faudrait au moins le double. Don Diego avait engagé du
personnel en plus pour aider les palefreniers qui s’occupaient des juments et
avançaient à côté du troupeau, s’efforçant de maintenir unie et compacte une si
grande manade, peu habituée aux déplacements sur de longues distances, à
l’inverse des moutons qui transhumaient, non loin, par la draille de la Mesta.
À ce contingent d’hommes et de chevaux se joignit, comme s’il s’agissait d’un
pèlerinage, un groupe de nobles cordouans, désireux de plaire au roi, qui
n’arrêtaient pas de gêner le travail des palefreniers et des écuyers.
Comme l’avaient prévu Fatima et Aisha, Hernando finit par
sortir de son marasme, se concentrant sur ses chevauchées avec Azirat pour
récupérer les juments ou les poulains qui s’éloignaient du troupeau, ou pour
regrouper davantage encore les animaux lorsqu’il fallait franchir un passage
étroit ou compliqué. Le rouge brillant de la robe d’Azirat se détachait de
l’endroit où il se trouvait et son agilité, ses caracoles et sa fière allure
suscitaient l’admiration parmi les voyageurs.
— D’où sort ce cheval ? demanda un noble obèse,
plus affalé que monté sur une grande selle en cuir repoussé, rehaussée de
décorations en argent, à deux autres hommes qui l’accompagnaient, un peu à
l’écart de la manade afin d’éviter le nuage de poussière qu’elle soulevait du
chemin sec.
Hernando venait de rattraper un poulain, qu’il avait
poursuivi avec Azirat. Le cheval s’était cabré devant lui, dressé sur ses
pattes arrière, sans bouger ses pattes avant, et avait obligé l’indocile à
faire demi-tour.
— Vu sa robe colorée, ça ne peut être qu’un rebut des
écuries royales, supposa l’un des interpellés. Un vrai gâchis, conclut-il,
impressionné par les mouvements de l’animal et de l’écuyer. C’est sûrement un
de ces chevaux avec lesquels Diego paie une part du salaire de ses employés.
— Et le cavalier ? interrogea le premier homme.
— Un Maure, précisa cette fois le troisième noble. J’ai
entendu Diego
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