Les révoltés de Cordoue
à plusieurs reprises avant de réussir
à lever les yeux vers les cavaliers, cherchant les enfants dont les pleurs lui
parvenaient avec netteté malgré le vacarme que faisaient les animaux. Au-dessus
d’eux, Brahim, lui, avait bien distingué les petits, mais… son regard se fit
plus perçant. Il se pencha sur la rampe.
— Et le nazaréen ? hurla-t-il du balcon. Où est ce
fils de pute ?
Aisha porta les mains à son visage et s’écroula entre les
pattes d’un cheval ; elle laisser échapper un cri, un seul, qui résonna
au-dessus du cliquetis des sabots, des ébrouements des animaux et des ordres
des cavaliers. Fatima se redressa. Tremblante, tous les muscles de son corps
tendus, elle tourna lentement la tête, comme si elle avait voulu se donner le
temps d’identifier la voix qui venait de percer ses tympans. Puis elle leva ses
immenses yeux noirs vers le balcon. Leurs regards se croisèrent. Brahim sourit.
Instinctivement, Fatima tenta de cacher ses seins, nus sous sa simple chemise
de nuit. Des gloussements surgirent parmi les cavaliers qui se trouvaient le
plus proches d’elle, et dont certains avaient déjà mis pied à terre.
— Couvre-toi, chienne ! cria le corsaire. Et vous,
ajouta-t-il à l’attention des hommes qui, pour la première fois, semblaient se
rendre compte de la quasi-nudité des femmes, détournez vos sales yeux de mon
épouse !
Fatima sentit ses yeux se remplir de larmes. « Mon
épouse » ! Il l’avait appelée « mon épouse » !
— Où est le nazaréen, marquis ?
Le noble était le seul homme resté à cheval, le visage
masqué ; l’éclat des torches flamboyait sur les plis de sa capuche. Il ne
répondit pas. Un de ses laquais le fit à sa place.
— Il n’y avait personne d’autre dans la maison.
— Ce n’était pas le marché, rugit le corsaire.
Pendant quelques instants, on n’entendit que les pleurs des
enfants.
— Dans ce cas, il n’y a pas de marché, le défia le
noble d’une voix ferme.
Brahim encaissa la réplique du marquis sans mot dire. Il
observa Fatima, recroquevillée sur elle-même, toute petite, tête basse, et un
frisson de plaisir parcourut sa colonne vertébrale. Puis il tourna de nouveau
la tête vers le noble : si le marché était annulé, sa mort était assurée.
— Et le Manchot ? interrogea-t-il, laissant
entendre qu’il passait sur l’absence d’Hernando.
Comme si tout était prévu, au même moment deux violents
coups de heurtoir résonnèrent sur la vieille porte en bois desséché de
l’auberge. L’administrateur du marquis avait été clair dans ses instructions.
« Tenez-vous prêts avec le monfí. Cachez-vous aux alentours de l’auberge,
et dès que vous verrez mon seigneur entrer, venez. »
Ubaid pénétra dans le patio en traînant les pieds, les bras
attachés au-dessus de son moignon, entre deux partisans du baron. Le noble
valencien, âgé mais encore robuste et coriace, était suivi de tous ses hommes.
Il chercha le marquis de Casabermeja et, sans hésiter un instant, se dirigea
vers le cavalier masqué.
— Voici votre homme, marquis, lui dit-il en attrapant
Ubaid par les cheveux pour l’obliger à s’agenouiller aux pieds du cheval.
— Je vous remercie, seigneur, répondit Casabermeja.
Pendant que le marquis parlait, un de ses laquais mit pied à
terre et remit une bourse au baron, qui l’ouvrit et se mit à compter les écus en
or correspondant au prix dont ils étaient convenus.
— C’est moi qui vous remercie, Excellence, renchérit le
Valencien qui s’estimait satisfait. J’espère que lors de votre prochaine visite
dans vos États de Valence, nous irons à la chasse ensemble.
— Vous serez invité à ma table, baron.
Le marquis accompagna ses mots d’un hochement de la tête.
— Je m’estime très honoré, dit le baron pour terminer.
D’un geste, il fit signe aux deux hommes qui
l’accompagnaient de se diriger vers la porte.
— Que Dieu soit avec vous, lui souhaita le marquis.
Le baron répondit à ces paroles d’adieu avec la révérence
qu’il devait à un chevalier de plus haut rang que le sien. Et il marcha vers la
sortie. Avant qu’il atteigne la porte, le marquis avait déjà reporté son
attention vers le balcon où, quelques instants plus tôt, se tenait Brahim. Mais
le corsaire était descendu dans le patio. Sans prononcer un seul mot il jeta
sur Fatima une couverture pouilleuse qu’il avait trouvée dans la chambre et se
dirigea, hors
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