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Les révoltés de Cordoue

Les révoltés de Cordoue

Titel: Les révoltés de Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ildefonso Falcones
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effectué une bonne partie de la marche qui,
selon l’édit, devait se prolonger jusqu’à la nuit, Hernando commença à sentir que
le poids de la croix sur son épaule augmentait de manière insupportable.
Pourquoi ne s’était-il pas contenté de défiler les bras en croix, comme les
autres hidalgos ? Plus encore, que faisait-il là, s’égratignant les pieds
dans des flaques de boue et de sang, à prier et à chanter des miserere ?
Le vieux sergent des régiments d’infanterie qui marchait devant lui, employant
son seul bras valide, se tut soudain quand l’extrémité de la croix qu’il
traînait pénétra dans un trou de la chaussée. Don Esteban eut beau tirer
dessus, il fut incapable de la sortir de la fondrière. Les pénitents le
dépassèrent, sauf ceux qui, portant une croix, furent contraints de s’arrêter.
Un jeune qui assistait à la procession parmi le public bondit et souleva le
bout de la croix. Le sergent se tourna vers lui et le remercia d’un sourire. Le
cortège continua, avec don Esteban et le jeune homme à ses côtés. Bientôt il
faudrait qu’on l’aide lui aussi, craignit Hernando lorsqu’il reprit la marche,
faisant un effort pour tirer sur le bois lourd. Il en avait encore pour tout
l’après-midi !
    — Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est
avec vous…, murmura Hernando à l’unisson.
    Ave María, pater noster, credo, salve… le
bourdonnement des prières était incessant. Que faisait-il là ? Des
miserere chantés. Des milliers de bougies, cierges et flambeaux. Encens.
Bénédictions. Saints et images de toutes parts. Hommes et femmes agenouillés
sur son passage, certains criant et suppliant, les bras tendus vers le ciel
dans des élans mystiques. Tout autour de lui, des flagellants, le dos
ensanglanté. Soudain il ne se sentit pas à sa place… Il était musulman !
     
    Les pieux paroissiens de Cordoue avaient été convoqués par
voie d’affiches et d’annonces. Mais pas la communauté maure. Plusieurs jours
avant la fête de San Lucas, prêtres, sacristains et vicaires, magistrats et
alguazils s’étaient emparés des recensements détaillés des nouveaux-chrétiens
et, maison par maison, leur avaient ordonné d’assister à la procession. Comme
pour un dimanche, le jour de San Lucas, à la première heure de la matinée, les
recensements entre les mains, ils se postèrent aux portes des églises afin de
vérifier qu’il ne manquait personne pour se confesser et communier. Nul n’avait
le droit de rester chez soi ; tous devaient venir voir la procession et
prier pour le retour des navires disparus de la Grande Armada. L’Espagne
entière priait en chœur !
    — Qu’attends-tu, la vieille ?
    Le boulanger maure secoua Aisha, couchée dans l’entrée. De
nombreux hommes l’avaient pressée de se lever du vestibule au moment où ils
avaient quitté la maison pour aller se confesser ou communier. Mais elle
n’avait pas bougé. Que lui importaient les répugnants bateaux du roi
chrétien ? Le dernier à sortir, le vieux boulanger, se mit en colère.
    — C’est une procession de nazaréens, lui cria-t-il
lorsqu’il vit Aisha se blottir, par terre, sous sa couverture. Comme toi et ton
fils ! Les magistrats contrôlent que nous sommes tous à la procession. Tu
veux peut-être que le malheur s’abatte sur cette maison et sur nous tous ?
Debout !
    Deux autres Maures qui vivaient dans la maison et se
trouvaient déjà dans la rue revinrent sur leurs pas.
    — Que se passe-t-il ? demanda l’un d’eux.
    — Elle ne veut pas se lever.
    — Si elle ne vient pas se confesser, cette maison sera
soupçonnée. Nous aurons les magistrats sur le dos pendant toute l’année.
    — C’est ce que je lui ai dit.
    — Écoute, nazaréenne, dit le troisième homme en
s’agenouillant près d’Aisha. Soit tu viens de ton plein gré, soit on t’emmène
de force.
    Aisha atteignit la paroisse de Santiago en trébuchant entre
deux jeunes Maures qui la traînaient sans ménagement. Le sacristain, après
avoir reculé et l’avoir regardée avec appréhension, biffa son nom sur la porte
de l’église.
    — Elle est malade, s’excusèrent les jeunes.
    Mais ils ne purent l’obliger à se confesser et osèrent
encore moins l’approcher de l’autel pour lui faire manger l’hostie. Par chance,
l’affluence des paroissiens, le désordre et les files d’attente près des
confessionnaux étaient tels que nul ne s’en aperçut. Les magistrats

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