Les révoltés de Cordoue
arrivèrent au Guadalquivir par la porte de Martos,
devant le moulin qui appartenait à l’ordre de Calatrava. Là, sur la berge du
fleuve, Aisha s’adressa à lui.
— Tu apportes des nouvelles de Fatima ?
interrogea-t-elle dans un filet de voix.
— Oui. J’ai…
— Que sais-tu de mon fils, Shamir ?
l’interrompit-elle, l’obligeant à s’arrêter.
Efraín crut percevoir un éclair de vie dans ses yeux
éteints.
— Il va bien.
Avant qu’il parte, son père lui avait expliqué la situation.
— Mais je n’en sais pas plus, précisa-t-il. Je
t’apporte une lettre de la señora Fatima. Elle s’adresse à ton fils, Hernando,
mais elle est aussi pour toi.
Efraín fouilla à l’intérieur de ses habits.
— Je ne sais pas lire, dit Aisha.
Le jeune juif tenait la lettre à la main.
— Donne-la à ton fils, il te la lira, argumenta-t-il en
lui tendant la lettre.
Aisha laissa échapper un triste sourire. Comment pourrait-elle
avouer à son fils qu’elle lui avait menti et que Fatima, Francisco et Inés
étaient vivants ?
— Lis-la, toi.
Efraín hésita. « À Hernando ou à sa mère », se
rappela-t-il. On entendait au fond le bruit incessant des pierres du moulin qui
pilait le blé au passage des eaux du Guadalquivir.
— D’accord, céda-t-il, et il gratta le sceau cacheté. Époux
aimé, lut-il ensuite. La paix et la bénédiction de l’Indulgent et de
Celui qui juge avec vérité soient avec toi…
Le soleil se couchait lentement, dessinant leurs deux
silhouettes sur la rive du fleuve. Concentré sur sa lecture, Efraín ne perçut
pas le sourire d’Aisha au moment où la lettre racontait la mort de Brahim,
saigné comme un porc. Le jeune juif dut toussoter à plusieurs reprises tandis
qu’il lisait le récit si détaillé de l’assassinat, qui apparaissait sous
l’écriture familière de son père.
Ton fils va bien,
poursuivait la lettre adressée à Hernando. Il est devenu un homme intelligent
et s’est endurci lors des combats en mer contre les chrétiens. Comment va ta
mère ? Je suis certaine que la force et le courage avec lesquels elle a
veillé sur moi et m’a soutenue lui ont servi pour supporter toutes les épreuves
auxquelles Dieu nous a soumis. Dis-lui que Shamir aussi est un homme à présent
et qu’il est désormais riche et puissant depuis la mort de son père maudit.
Tous deux, courageux et fiers, au nom du Dieu unique, du véritable, du Fort et
du Ferme, de Celui qui fait vivre et mourir, sillonnent les mers, affrontent
les chrétiens et leur portent préjudice, ces chrétiens qui nous ont fait tant
de mal. Inés grandit en bonne santé. Époux aimé : j’ignore ce que t’a dit
ta mère au sujet de l’enlèvement de ton fils, d’Inès et de l’esclave que je
suis pour toi, mais je suppose qu’elle t’a raconté que nous étions morts, sinon
je suis persuadée que tu serais venu à notre secours. Les garçons ne l’ont
jamais su et ils ont attendu longtemps ton arrivée. J’ai hésité à le leur dire,
mais j’ai décidé que cette possibilité, cette espérance, les aiderait sur un
chemin qui fut pour eux cruel et difficile. Il est trop tard aujourd’hui pour
que je leur avoue la vérité. Toi-même tu pourras leur dire et ils te
pardonneront, j’en suis sûre, comme tu pardonneras à ta mère ; c’est moi
qui lui ai demandé d’agir ainsi, de t’empêcher de nous suivre jusqu’à ce repère
de corsaires où Brahim t’attendait avec toute une armée pour te tuer.
Les sanglots d’Aisha interrompirent la lecture d’Efraín. Le
jeune homme évita de regarder la femme, saisie par une douleur qu’elle ne
faisait rien pour dissimuler.
— Continue, le pressa Aisha d’une voix tremblante.
Hernando, nous
avons de nombreuses nuits à rattraper, lut le jeune juif. Tétouan sera notre
paradis. Ici nous pouvons vivre sans problèmes et dans la foi véritable, sans
nous cacher de rien ni de personne. Mais peut-être t’es-tu remarié ? Je ne
te le reprocherais pas, ce serait compréhensible. Dans ce cas, viens avec ta
nouvelle épouse et tes enfants si tu en as. En tant que bonne musulmane qu’elle
est sûrement, ton épouse comprendra et acceptera la situation. Qu’Aisha vienne
aussi : Shamir a besoin d’elle. Nous avons tous besoin de vous ! Que
Dieu guide le porteur de cette lettre, te trouve en bonne santé et te ramène à
mes bras et à ceux de tes enfants.
Aisha demeura immobile un long moment, le regard
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