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Les révoltés de Cordoue

Les révoltés de Cordoue

Titel: Les révoltés de Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ildefonso Falcones
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validèrent
sa présence à l’église. Ensuite, sous la surveillance d’un gouverneur, les
Maures du quartier de Santiago se postèrent dans la calle del Sol, entre
l’église de Santiago et le proche couvent de Santa Cruz, dans l’attente du
passage de la procession. Aisha se trouvait parmi eux, recroquevillée,
indifférente. Elle dut rester plusieurs heures dans la rue avant que la
procession, sur son chemin de retour à la cathédrale, arrive dans le quartier
de Santiago, près des remparts de l’est.
    Aisha ne parla avec personne. Depuis plusieurs jours elle
n’ouvrait plus la bouche, même à l’atelier, où elle supportait en silence, le
regard perdu, les réprimandes du maître Juan Marco devant les fils de soie
qu’elle avait mal embobinés ou les couleurs ou les mesures mal mélangées. Elle
pensait à Fatima et à Shamir. Fatima avait réussi ! Elle avait subi des
années d’humiliations, mais elle s’était tue et avait tenu bon ; sa
volonté et sa constance lui avaient permis d’obtenir une vengeance qu’elle
n’aurait jamais imaginée. Un paradis ! disait la lettre, se souvint-elle.
Elle vivait dans un paradis. Et elle, qu’était-elle devenue ? Elle était
vieille, malade et seule. Elle observa ses voisins qui l’entouraient, comme
s’ils voulaient la cacher. Ils mangeaient. Du pain de maïs, des galettes, des
gâteaux aux amandes, et des beignets qu’ils s’étaient procurés. Aucun d’entre
eux ne lui en offrit, bien que de toute façon elle eût refusé. Il lui manquait
quelques dents et ses cheveux tombaient par poignées ; elle devait
émietter le pain dur qu’on lui laissait chaque soir. Quel grand péché
avait-elle pu commettre pour que Dieu la châtie de cette manière ?
Hernando trahissait les musulmans et Shamir vivait loin, aux
Barbaresques ; ses autres enfants… avaient été assassinés ou vendus comme
esclaves. Pourquoi, Dieu ? Pourquoi ne l’emportait-Il pas une fois pour
toutes ? Elle désirait la mort ! Elle l’appelait chaque nuit,
lorsqu’elle devait s’allonger sur le sol froid et dur du vestibule. Mais elle
ne venait pas. Dieu ne se décidait pas à la libérer de ses malheurs.
    Au moment où le Christ del Punto passa devant elle, Aisha
avait mal aux jambes. Les Maures s’agenouillèrent. Quelqu’un tira sur sa jupe
pour qu’elle fasse de même, mais elle résista et resta debout, silencieuse,
sans prier, courbée comme une vieille femme, à genoux entre les hommes. Au bout
d’un bon moment les pénitents arrivèrent. Après avoir parcouru toute la ville,
un grand nombre d’entre eux tombaient sous le poids des croix et les gens se
voyaient obligés d’aller les aider. Ce n’était pas le cas d’Hernando, mais le
sergent, qui marchait à côté de lui, avait laissé sa croix après la Corredera,
et il avançait parmi le groupe de pénitents, tête basse, abattu, libéré d’un
poids dont s’étaient chargés deux jeunes gens. Ceux qui portaient des
disciplines avaient le corps ensanglanté ; les chrétiens fervents qui
assistaient à la procession étaient bouleversés par ces démonstrations de
passion et s’unissaient aux cris et aux hurlements de douleur qui surgissaient
de la gorge des pénitents. Les religieuses de Santa Cruz commencèrent à
entonner le Miserere, élevant la voix pour se faire entendre au milieu du
vacarme, afin d’encourager le millier d’hommes brisés.
    —  Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam
tuam, tonna le lugubre cantique dans la calle del Sol.
    Aisha regardait passer avec indifférence tous ces malheureux
quand parmi eux, portant une immense croix, le dos en sang à cause des
blessures occasionnées par le frottement du bois sur son épaule nue et le
visage congestionné, elle vit son fils qui traînait les pieds auprès du reste
des pénitents : son image lui rappela les centaines de christs que
montraient les églises et les autels des rues cordouanes.
    — Non ! cria-t-elle.
    Les doigts de ses mains se crispèrent. Le boulanger se
retourna vers elle et remarqua que les veines bleu pâle du cou de la vieille
femme étaient devenues énormes sous son menton. Ses yeux irradiaient de la
haine.
    — Non ! cria-t-elle de nouveau.
    Un autre Maure se tourna vers elle. Un troisième tenta de la
faire taire, ce qui attira l’attention de l’alguazil, mais à sa surprise Aisha
se dégagea avec la force née de la colère.
    — Allah est grand, mon fils ! hurla-t-elle alors,
tandis que

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