Les révoltés de Cordoue
Rafaela
s’éleva alors, tranchante et sans appel.
— Crois-tu vraiment que je vais mettre en danger ma
famille ?
— Ta famille ? grogna la femme avec mépris. Un
Maure…
Alors, pour la première fois de sa vie, Rafaela coupa la
parole à sa mère.
— Hors de cette maison !
Hernando soupira, satisfait. Miguel laissa échapper un
sourire. Puis ils virent passer Rafaela devant eux, silencieuse, la tête
droite, en direction du patio, tandis que les gémissements et les sanglots de
sa mère leur parvenaient encore de la rue.
Le Maure et sa famille survécurent à la peste. Comme
beaucoup d’autres Cordouans, doña Catalina, épuisée et débordante de haine à
l’encontre d’Hernando et de Rafaela, fut de retour dès qu’on déclara la ville
débarrassée de l’épidémie et qu’on rouvrit ses treize portes.
Croisant la foule qui rentrait chez elle, Miguel, après des
adieux rapides et balbutiants, s’empressa de retourner à la ferme.
Plus de six mille personnes étaient mortes pendant
l’épidémie.
63.
Chemin de Toga,
royaume de Valence, 1604
Pour ce voyage au petit village de Toga, au nord de Segorbe,
enclavé dans une vallée derrière la sierra del Espadán, Hernando, qui devait
d’abord passer par Jarafuel, avait choisi un magnifique quatre-ans alezan doré.
Celui-ci, faisant honneur à sa robe de feu, trottait plus qu’il ne marchait, et
il fallait constamment le freiner. Son cou large et fier de cheval espagnol
était toujours dressé ; il s’ébrouait même devant les papillons et
s’agitait, inquiet, dès que des insectes tournoyaient près de ses oreilles
tendues, à tout moment aux aguets.
Neuf ans après sa dernière visite, Hernando trouva Munir,
l’uléma, prématurément vieilli. La vie était très dure sur ces terres de la
sierra de Valence, et extrême pour qui prétendait faire perdurer l’esprit de
croyances chaque fois plus persécutées. Les deux hommes s’étreignirent et
s’examinèrent l’un l’autre sans réserve. Au cours du dîner frugal que leur
servit l’épouse de l’uléma de Jarafuel, assis par terre sur de simples nattes,
ils évoquèrent la réunion qui allait être célébrée dans le petit village perdu
de Toga, à plusieurs journées de là et majoritairement maure, comme presque
tous ceux de la région. On devait y débattre de la plus sérieuse tentative de
rébellion ourdie depuis le soulèvement des Alpujarras, dans laquelle étaient
impliqués, racontait-on, le roi Henri IV de France et la reine Élizabeth
d’Angleterre, qui venait juste de mourir.
L’insurrection se préparait depuis trois ans et don Pedro de
Granada Venegas, Castillo et Luna avaient prié Hernando de se rendre au côté de
Munir à la réunion qui rassemblait tous les négociateurs. Tous trois estimaient
que le succès des plombs était proche ; le processus d’authentification ne
saurait guère tarder et une nouvelle révolte anéantirait tous leurs efforts.
L’uléma de Jarafuel comprit les arguments que lui exposa, en
ce sens, Hernando.
— Cependant, allégua-t-il avec raison, cela va faire
dix ans que les plombs sont apparus, et force est de reconnaître qu’ils n’ont
jusqu’à présent servi à rien. Sans la reconnaissance de Rome, ils n’ont aucune
valeur. C’est la réalité. Alors qu’à l’inverse, la situation de nos frères dans
ces royaumes a empiré de manière significative. Frère Bleda continue d’exiger
avec insistance notre destruction complète, par tous les moyens. La cruauté de
ce dominicain est telle que même l’inquisiteur général lui a interdit de
s’exprimer au sujet des nôtres. Mais le moine continue de se rendre à Rome, où
le Pape l’écoute. Néanmoins, le plus grave c’est le changement d’opinion de
l’archevêque de Valence, Juan de Ribera.
Munir fit une pause. Son visage, beaucoup trop ridé pour son
âge, exprimait une franche préoccupation.
— Jusqu’à récemment encore, reprit l’uléma, Ribera
était un ardent partisan de l’évangélisation de notre peuple, à un tel degré qu’il
en était venu à payer de sa poche le salaire des curés qui devaient mener à
bien cette tâche. Cela nous convenait : les prêtres qui viennent par ici
ne sont rien d’autre qu’une bande de voleurs incultes qui ne se soucient pas le
moins du monde de nous ; il suffit que nous venions manger l’hostie le
dimanche pour qu’ils soient contents. La seule église de toute la vallée de
Cofrentes,
Weitere Kostenlose Bücher