Les révoltés de Cordoue
c’est celle-ci, celle de Jarafuel, et ce n’est même pas une église,
c’est une ancienne mosquée ! Mais après s’être escrimé pendant des années
et avoir dépensé beaucoup d’argent pour rien, Ribera a changé d’avis et a
envoyé un rapport au roi dans lequel il propose que tous les Maures soient
réduits en esclavage, envoyés aux galères ou condamnés au travail dans les
mines des Indes. Il affirme que Dieu appréciera cette décision, que le roi
pourrait donc prendre sans le moindre scrupule. Ce sont ses mots,
littéralement.
Hernando hocha la tête. Munir prit un air dramatique.
— Ce n’est pas frère Bleda qui m’inquiète, il y en a
beaucoup d’autres comme lui. C’est Ribera. Non seulement il est archevêque de
Valence, mais il est aussi patriarche d’Antioche et, plus important encore,
commandant général du royaume de Valence. Il s’agit d’un homme très influent
dans l’entourage du roi et du duc de Lerma.
L’uléma marqua cette fois une longue pause, comme s’il
méditait ses paroles avant de poursuivre :
— Hernando, tu sais que j’ai soutenu votre initiative
avec les plombs, mais je comprends aussi le peuple. Il redoute le jour où le
roi et son Conseil finiront par adopter une de ces mesures drastiques dont on
parle tant, et face à cela il nous reste une seule possibilité : la
guerre.
— Depuis les Alpujarras, rétorqua Hernando, j’ai
entendu parler de nombreuses tentatives de soulèvement, certaines complètement
folles. Toutes ont échoué.
Il n’était pas disposé à lâcher prise.
— Encore la guerre ? continua-t-il. Encore des
morts ? N’y en a-t-il pas eu déjà assez ? En quoi cette tentative
serait-elle différente ?
— En tout, répliqua l’uléma, catégorique. Nous avons
promis…
Voyant Hernando hausser les sourcils, Munir précisa :
— Oui, je m’inclus là-dedans ; j’appuie cette
révolte, je te l’ai dit. C’est une guerre sainte, affirma-t-il avec solennité.
Nous avons promis que si les Français envahissaient ce royaume, nous les
aiderions avec une armée de quatre-vingt mille musulmans et leur livrerions
trois villes, dont Valence.
— Et les Français vous croient ?
— Ils nous croiront. Nous allons leur remettre cent
vingt mille ducats de garantie.
— Cent vingt mille ducats ! s’exclama Hernando.
— Oui.
— C’est monstrueux. Comment… Qui a décidé de cette
somme ?
Hernando se souvenait des terribles difficultés souffertes
par la communauté maure pour supporter les impôts spéciaux auxquels la
soumettaient les rois chrétiens, ceux-là mêmes qui prétendaient depuis les
exterminer. Après la déroute de la Grande Armada, on les avait obligés à payer
« gracieusement », disaient les documents, deux cent mille
ducats ; on leur avait réclamé la même somme après le pillage de Cadix par
les Anglais, en plus des multiples contributions spéciales dont les chrétiens
les gratifiaient. Comment pourraient-ils à présent faire face à une dépense si
importante ?
— Ce sont eux qui paient, se mit à rire l’uléma,
devinant les pensées de son compagnon.
— Qui, eux ? interrogea Hernando, étonné. De qui
parles-tu ?
— Des chrétiens. Le roi Philippe en personne.
Hernando lui fit signe, impérieusement, de s’expliquer.
— Malgré les richesses qui arrivent des Indes et les impôts
des roturiers, le royaume est en banqueroute. Philippe II a suspendu
plusieurs fois ses paiements et son fils, Philippe III, ne tardera pas à
faire de même.
— Et alors, quel est le rapport ? Si le roi n’a
pas d’argent, comment va-t-il payer cent vingt mille ducats ? En supposant
que… C’est absurde !
— Attends, le pria l’uléma. Cette situation financière
a conduit le roi Philippe II à diminuer la valeur du billon.
Hernando acquiesça. Comme toute la population d’Espagne, il
avait lui aussi souffert de la décision du monarque.
— D’un billon riche, à quatre ou six grains d’argent
par pièce, on est passé à un billon d’un seul grain.
— Les gens se plaignaient, se souvint Hernando, car ils
étaient contraints d’échanger leurs pièces contenant plein d’argent contre
d’autres qui n’en avaient pas, au pair ! Pour chaque billon, on a perdu
trois grains ou plus d’argent.
— Exact. Les finances royales ont récupéré les
anciennes pièces et tiré bon profit de cette manigance, mais les conseillers
n’avaient pas prévu
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