Les révoltés de Cordoue
toute façon les formalités prendront des
années. Ensuite… nous verrons bien. Les choses changeront.
Mais les pleurs de Rafaela étaient irrépressibles. Elle
porta les mains à son visage et ses gémissements envahirent le silence de la
nuit. Hernando, qui s’était écarté de son épouse, l’étreignit une fois de plus
et caressa sa chevelure avec douceur, s’efforçant d’afficher une sérénité qu’il
était très loin d’éprouver.
— Calme-toi, murmura-t-il. Il ne nous arrivera rien.
Nous resterons tous ensemble.
— Miguel a un pressentiment…, hoqueta-t-elle entre deux
sanglots.
— Les pressentiments de Miguel ne se réalisent pas
toujours… Tout ira bien. Calme-toi. Il ne se passera rien…, insista-t-il.
Reprends-toi, les enfants ne doivent pas te voir comme ça.
Rafaela acquiesça et respira profondément. Elle ne se
décidait pas à quitter les bras de son époux. Elle ressentait une peur immense
que seul le contact avec lui parvenait à tempérer.
Hernando la regarda sortir de la bibliothèque, ravalant ses larmes,
et un puissant sentiment de tendresse s’empara de lui. Il avait appris à vivre
entre Fatima et Rafaela. Il retrouvait la première dans ses prières, à la
mezquita, dans la calligraphie ou lorsqu’il écoutait Muqla susurrer un mot en
arabe, avec ses immenses yeux bleus fixés sur lui dans l’attente de son
approbation. Et Rafaela partageait son quotidien, toutes ces situations où il
avait besoin de douceur et d’amour. Elle l’enveloppait d’affection, et il le
lui rendait bien. Fatima était devenue une sorte de phare qu’il suivait dans
ses moments d’union avec Dieu et sa religion.
L’expulsion des Maures valenciens était menée à bien, non
sans difficultés. Pour transporter plus de cent mille personnes, il fallait que
les bateaux effectuent plusieurs fois le trajet entre la côte Est espagnole et
les Barbaresques. Malgré les trois jours de délai exigés au départ, les mois
passaient et ce retard avait permis d’obtenir des nouvelles quant à la
situation des émigrés en Afrique, par l’intermédiaire des équipages des navires
faisant l’aller-retour ou par les chrétiens qui, cruellement, prenaient un
malin plaisir à les divulguer. Les plus chanceux, qui débarquaient à Alger,
étaient immédiatement transférés dans des mosquées ; là, les hommes
étaient alignés, leurs sexes examinés et circoncis à vif, les uns après les
autres. Ils allaient ensuite grossir les rangs de la caste la plus basse de la
ville corsaire régie par les janissaires, avant d’être employés au travail de
la terre, dans des conditions inhumaines.
Les plus infortunés tombaient entre les mains de tribus
nomades ou arabes qui assassinaient ces gens ; ils n’étaient à leurs yeux
rien de plus que des chrétiens, des hommes et des femmes baptisés ayant renié
le Prophète. On racontait que près des trois quarts des Maures valenciens, soit
plus de cent mille personnes, avaient été assassinés par les Arabes. Même à
Tétouan et à Ceuta, deux villes où vivait un grand nombre de Maures andalous,
les nouveaux arrivants avaient été torturés et exécutés. Des communautés entières,
clamant leur chrétienté, se pressaient contre les remparts des présides
espagnols enclavés sur la côte africaine en quête de protection. Des centaines
de Maures, terrorisés et déçus, se débrouillaient pour retourner en Espagne, où
ils s’offraient comme esclaves au premier venu ; les esclaves étaient
exemptés d’expulsion.
On racontait aussi que certains voyageurs étaient dépouillés
et jetés à la mer. Sur les marchés chrétiens, on commençait à acheter les
sardines sous le nom de « grenadines » à cause de leur couleur.
Les rumeurs de ces macabres massacres arabes et autres
malheurs se propagèrent parmi les Maures valenciens qui attendaient d’être
expulsés. Deux communautés prirent les armes. Munir souleva les hommes de la
vallée de Cofrentes qui, sous le commandement d’un nouveau roi dénommé Turigi,
prirent le maquis tout en haut de la Muela de Cortes. Des milliers d’autres,
hommes et femmes de la Val de Aguar, aux ordres du roi Melleni, firent de même.
Mais le chef Alfatimi, monté sur son cheval vert, n’accourut pas à leur aide,
et les soldats expérimentés des régiments d’infanterie espagnols n’eurent aucun
mal à écraser la révolte. Des milliers de Maures furent exécutés ; des
milliers d’autres se
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