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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Le père Joseph est chez moi en mon appartement du
Louvre. J’y retourne tout de gob et vous l’envoie.
    Déagéant se mit alors sur pied avec la rapidité d’un ressort
qui se détend, puis avec le plus bref signe de tête et le plus court merci, il
prit congé et s’en alla, me laissant tout ébahi de son peu de civilité.
    Mais mon ébahissement dura peu, tant me poignait la curiosité
de m’entretenir au bec à bec avec le père Joseph, lequel s’était fait connaître
du roi et de la chrétienté bien avant qu’il se mît à jouer aux côtés de
Richelieu le rôle que l’on sait. À y réfléchir plus tard, cette démarche dont
il se chargeait auprès du roi, avec la bénédiction de Luynes, m’apparut comme
le premier acte de sa longue et fructueuse alliance avec l’évêque de Luçon.
    Belle lectrice, le voilà donc, ce célèbre père Joseph,
devant vous, dans mon petit salon, éclairé par deux chandeliers où je brûle,
par un raffinement qu’il trouverait coupable, s’il était homme à s’en
apercevoir, des bougies parfumées. Ses fesses que, sous la robe, je devine
maigrichonnes, se posent humblement sur le bord de ma chaire à bras dont le
damas s’étonne de se trouver en contact avec sa rude bure. Sa capuche, ou pour
mieux dire, son capuce (plus long, plus pointu, et retombant davantage en
arrière que celui des franciscains – par où il témoigne qu’il est, lui,
capucin et s’en tient au strict vœu de pauvreté dont d’aucuns franciscains
voudraient meshui s’affranchir), son capuce, dis-je, recouvre son chef, que
j’imagine rasé, et ne laisse voir que des yeux extraordinairement brillants et
un visage maigre, buriné, envahi par une barbe hirsute où le sel l’emporte sur
le poivre. Quant à son corps, cette « guenille », le père Joseph l’a
réduite à sa dimension minimale et n’en a gardé que juste ce qu’il fallait pour
assurer par les démarches et la parole le service de Dieu. Tandis qu’il
s’assied, je sens qu’il émane de lui cette odeur particulière aux moines dont
Henri III était raffolé (ce qui rendit si facile à Jacques Clément d’avoir
accès à lui pour lui donner du couteau dans le ventre). Je ne sais de quoi est
fait ce fumet, se peut tout simplement qu’il vient de la bure, mais d’aucuns
prétendent qu’il vient aussi de cette vie érémitique qui est celle des
religieux et qui est faite d’abstinence, de jeûnes et de prières.
    Belle lectrice, que je vous le dise enfin : avec son
capuce, sa pèlerine, sa robe et ses sandales, le père Joseph était l’image même
du dénuement et pourtant, en fait, il n’avait rien d’un rustre comme Déagéant.
Son maintien et ses manières étaient parfaitement polis, et non sans cause. Il
ne procédait pas de la roture comme l’intendant des Finances, mais de la robe
et quelle robe ! La plus haute et la mieux garnie en offices, dignités et
pécunes, ayant hôtel à Paris et château à Tremblay-sur-Mauldre (dont il
portait, de reste, le nom), étant issu d’une famille de parlementaires, son
père ayant été président des Enquêtes avant d’être nommé par le roi ambassadeur
à Venise.
    La pauvreté du père Joseph était donc un choix et non, comme
celle de mes manants, un état. Son appartenance à un ordre le plus pauvre était
une vocation et sa lutte contre l’hérétique, une défense quasi fanatique de
l’Église catholique. Je n’ignorais pas que ce capucin doux et modeste qui
attendait avec courtoisie que je lui adressasse la parole, avait bataillé
pendant des années pour organiser en plein dix-septième siècle, une croisade
qui, par le fer et le feu, eût à jamais éradiqué les Turcs de la surface de la
terre et aurait donné Constantinople au duc de Nevers.
    Le pape, sans bailler pécunes ni soldats, consentit à cette
aventure, mais l’Espagne, sollicitée, se récusa et le projet sécha sur pied,
laissant pleuvoir ses feuilles mortes sur le cœur du père Joseph. C’en était
bien fini des rêves visionnaires dans lesquels il se voyait avancer à la tête
des soldats du Christ, une croix à la main « dans une mer de sang ».
Belle lectrice, je n’ai pas imaginé cette image. Elle est du père Joseph dans
un poème point du tout poétique sur la croisade contre les Turcs qu’il composa
alors et qui avait pour titre La Turciade, lequel La Surie, après l’avoir
lu, appela La Trucidade, tant, en projet du moins, on y tuait de Turcs.
    — Mon père,

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