Les Roses De La Vie
du cardinal Du Perron, il était devenu, à la mort du prélat, une
sorte de secrétaire in partibus du nonce apostolique, assurant une
liaison des plus utiles – utile pour le Saint-Siège s’entend – entre
le nonce et le père Arnoux, confesseur du roi.
— Monsieur le Comte, dit-il avec une humilité qui se
moquait d’elle-même, je vous présente mes respects et encore que je sois prêtre
dans ce siècle et n’appartienne pas à un ordre mendiant, vous plairait-il de me
bailler un croûton pour apaiser ma canine faim ?
Ce disant, penchant vers moi son corps arachnéen, tout en
jambes et en bras démesurés, il arquait son sourcil diabolique sur son œil
noisette. Tandis qu’il parlait, j’observai que même ses cheveux blancs –
il avait été le compagnon d’études de mon père à Montpellier – faillaient
à lui donner un air respectable.
— Monsieur l’Abbé, dis-je, prenez place et c’est avec
joie que je partagerai avec vous mon dîner.
— La grand merci à vous, Monsieur le Comte, il y a
plaisir à mendier quand on est à peu près certain qu’on vous donne. Voyez notre
grand capucin, le père Joseph : qui en ce royaume refuserait un morceau de
pain à ce pauvre déchaussé ?
— Vous n’aimez point ce saint homme ?
— Bien le rebours ! Il est une des gloires de
notre Église.
— J’aime ce « notre », Monsieur l’Abbé !
— Pour moi, il est récent, c’est vrai. Mais ne peut-on
en dire autant de Monsieur votre père, converti tardif ? Et où est le
mérite d’être né tout de gob, comme vous, dans le giron de l’Église véritable
sans avoir eu, comme nous, à tâtonner tout autour ?
— Tâtonner est bien dit, mais buvez, Monsieur l’Abbé,
de grâce, buvez ! Votre gobelet s’ennuie.
— Je bois ! Ce bourgogne n’est des pires !
— Je vous en ferai donc porter quelques bouteilles.
— Et sans façons, j’en accepte l’augure.
— Monsieur l’Abbé, je le confesse, la curiosité me
dévore : que faisiez-vous ce jour d’hui si près du Conseil des affaires au
Louvre ?
— J’y laissais traîner mes oreilles.
— Et qu’ont-elles ramassé çà et là ?
— Assez de choses pour me persuader que notre jeune roi
possède à lui seul plus de sagesse politique que tous ses ministres mis à tas.
— C’est-à-dire ?
— C’est-à-dire que s’agissant d’une mère, fût-elle la
pire des mères, il ne veut pas qu’on le croie fils dénaturé, donc il négocie.
Mais à partir d’une position de force et les armes à la main. Cependant,
l’affaire est loin d’être réglée. J’y vois une difficulté gravissime.
— Laquelle ?
— Avec qui négocier ?
— Mais avec la reine-mère !
— Avec cette cervelle creuse ! Cette furie qui se
met à hurler dès qu’elle est contrariée ? Fi donc !
— Avec d’Épernon !
— Avec ce duc infâme qui vient de faire au roi cette
insigne braverie !
— Alors, avec l’abbé Ruccellaï ? On dit qu’il est
très avant dans les papiers de la reine-mère.
— Ruccellaï ! Dans la cameria italienne qui
entoure la reine-mère, c’est le pire de tous ! Un brouillon, un intrigant,
un impudent de la plus basse espèce ! Et avec cela, le plus grand fat que
la terre ait porté ! De plus, Ruccellaï et d’Épernon se détestent !
Quand l’un dit blanc, l’autre dit noir ! Et la reine-mère ne sait plus que
penser. Je répète : avec qui, dans ces conditions, négocier ?
À quoi je me tus, éprouvant encore une fois que plus une
question est fondée en raison, plus il devient difficile d’y répondre de façon
pertinente. Le soir même, soupant avec mon père et La Surie, j’évoquai ce
qu’avait dit Fogacer quant à la difficulté gravissime de la négociation.
— Il ne se trompe pas, dit mon père. C’est avec la
reine-mère qu’on devrait négocier. Mais c’est avec elle qu’il est moins
possible de le faire, car c’est une femme qui atteint des sommets dans le
déraisonnable. Et ce qu’elle désire ne saurait faire l’objet d’un bargouin.
— Et que désire-t-elle ?
— Au fond d’elle-même ? C’est bien simple :
revenir au Louvre, retrouver tous les pouvoirs de la régence, interdire à son
fils l’entrée du Conseil, dissiper en dépenses extravagantes ce qui reste du
trésor de la Bastille et humilier la petite reine chaque fois qu’elle en aura
l’occasion.
— Et d’Épernon ?
— D’Épernon est un homme qui
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