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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dis-je, si j’ai bien entendu ce que m’a dit
Monsieur Déagéant, votre intention est de demander à Sa Majesté de mettre fin à
l’exil de Richelieu et de lui permettre d’aller en Angoulême assister la
reine-mère de ses bons conseils.
    — En effet, Monsieur le Comte, dit le père Joseph d’une
voix douce, c’est bien de cela qu’il s’agit et je vous saurais le plus grand
gré si vous vouliez bien trouver bon de prier Sa Majesté de me recevoir.
    — Mon père, peux-je, auparavant, quérir de vous
quelques questions ?
    — Mais bien volontiers, dit-il avec soumission en
baissant la tête, ce qui eut pour effet de la faire quasiment disparaître dans
son capuce à l’exception d’une touffe de barbe.
    — D’où connaissez-vous Richelieu ?
    — Oh ! il y a belle heurette de cela ! dit-il
en levant les deux mains en l’air, lesquelles me parurent blanches, délicates
et soignées, en un mot, pas du tout le genre de mains qu’on se serait attendu à
voir saillir des manches de sa bure. Je l’ai rencontré en 1611, il y a tout
juste huit ans, alors qu’il était depuis peu évêque de Luçon. J’étais moi-même
abbé de l’abbaye des Roches et, oyant un de ses curés en chaire délivrer un
excellent prône à la suite de son homélie, j’appris de lui qu’il l’avait tiré
d’un manuscrit que lui avait remis pour le copier le jeune évêque de Luçon et
qui s’intitulait L’Instruction du chrétien. Je lus ce manuscrit et tant
sa doctrine me parut solide et claire, j’en fus dans le ravissement et je n’eus
de cesse que je ne rencontrasse l’auteur. Ah ! Monsieur le Comte ! Ce
fut une inoubliable rencontre ! L’étendue de son savoir, la vigueur de sa
pensée, la profondeur de ses vues me frappèrent au-delà de ce que je pouvais
attendre. À cet instant, et bien qu’il fût de douze ans mon cadet, je le
considérai déjà comme mon maître.
    — Fut-ce à ce moment-là, mon père, dis-je, que vous
abandonnâtes votre projet de croisade contre les Turcs ?
    — Nenni, nenni, dit le père Joseph, cette décision fut
prise bien plus tard, en juin 1617, après ce séjour à Madrid qui fut pour moi
une si terrible déception. On m’y paya d’une brume de trompeuses paroles, mais
derrière cette brume, je ne faillis pas d’apercevoir la désolante vérité :
le roi d’Espagne, traître à sa mission de prince très catholique, loin de
vouloir libérer la Grèce du joug des Turcs, n’avait en cervelle qu’un
projet : asservir l’Europe. Je pris alors le roi d’Espagne, et l’Espagne
tout entière en grande détestation. Je revins en France, obtins une audience de
Sa Majesté. Elle m’écouta avec le plus grand intérêt, mais hélas, que
pouvait-elle sans l’Espagne ? Louis était si jeune, son pouvoir encore mal
affermi, le trésor de la Bastille dissipé et les Grands n’attendaient qu’une
occasion pour se rebeller contre lui. Néanmoins, Louis m’écouta et j’eus à
cette époque une autre satisfaction, celle-là grandissime. Richelieu, de son
demi-exil de Blois où il travaillait à réconcilier la reine-mère et le roi,
m’écrivit, me demandant mon aide et ma protection. Ma protection, Monsieur le
Comte ! Avez-vous ouï cela ? Ce chrétien exemplaire, cet esprit
sublime, cette lumière de notre temps me demandait à moi, chétif capucin, ma
protection ! Pourra-t-on jamais trouver une plus louable humilité ?
    Je m’apensai, à cet instant, que le plus humble des deux
n’était assurément pas celui que le père Joseph imaginait. Je ne doutais pas
que le capucin n’eût, quant à lui, un esprit des plus pénétrants, mais là où sa
générosité et sa fougue l’emportaient, sa vue se brouillait. Il ne distinguait
rien. Lumineux et aveugle, il se grisait des visions d’une chrétienté
réunifiée, mais ne voyait pas, en la candeur de sa foi, l’horreur d’un peuple
massacré. En Richelieu, il percevait à juste titre de grands talents. Il ne
distinguait pas le cynisme avec lequel l’évêque, n’ayant en vue que son propre
avancement, s’était donné à l’infâme Concini, ni la fourberie avec laquelle il
ne servait la reine-mère que pour conquérir, à la parfin, la faveur de son
fils.
    — Mon père, si j’entends bien, votre propos meshui est
d’aider le destin de Richelieu comme vous avez, avant 1617, aidé le duc de
Nevers à la fondation d’un grand royaume en Turquie.
    — Nenni ! Nenni ! s’écria avec feu le

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