Les Roses De La Vie
je me gardai bien de déclore
le bec. Anne, catholique à l’espagnole, penchait aussi pour le cardinal de La
Rochefoucauld, mais hélas ! la pauvrette ne comptait guère, retirée dans
son gynécée. Et je sus à la parfin par Fogacer quel était l’homme qui fit
pencher la balance, et quel fut aussi l’argument dont cet homme usa pour amener
Louis à une décision.
— Jeune Siorac, dit Fogacer en lampant chez moi un
gobelet de mon vin de Bourgogne, sachez d’abord que le nonce ne le cède en
finesse à aucun homme en ce royaume, hormis se peut à Richelieu. Ayant obtenu
de parler au roi au bec à bec en dehors de Puisieux, il commença par se douloir
avec lui de l’arrogance des huguenots qui venaient d’exiger de Louis le retrait
de la garnison royale de Montpellier. Après quoi il ajouta, sans paraître y
toucher le moindre, que ces insupportables insolences des huguenots venaient du
fait qu’ils savaient que les ministres de Sa Majesté voulaient la paix à
tout prix, que ce fût avec eux-mêmes ou dans la Valteline. Ayant dit, le
nonce ne parla même pas du cardinal de La Rochefoucauld et de sa préséance. On
eût dit même qu’il s’en désintéressait.
— Et quand eut lieu ce bec à bec entre le nonce et le
roi ?
— À six heures de l’après-dînée.
— C’est donc demain que Louis en décidera ?
— Et sans doute avez-vous déjà deviné sa décision,
jeune Siorac ?
— Assurément. Le nonce a touché la corde sensible. La
France est ruinée. Elle n’a pas de politique extérieure et elle n’est plus
respectée. À qui la faute sinon aux Brûlart ?
Le lendemain en effet Louis donna la préséance au cardinal
de La Rochefoucauld. Il serait plus vrai, peut-être, de dire qu’il la refusa au
chancelier. Lequel se sentit tout soudain enveloppé par le vent glacé de la disgrâce.
Dans son désarroi il se mit follement en tête de demander lui-même le chapeau
de cardinal, lequel s’il devait être arraché aux hauteurs de l’État amortirait
au moins sa chute.
Ce n’était pas absurde en soi. Ma belle lectrice se
ramentoit qu’il y avait des cardinaux laïcs, riches du seul titre de diacre,
mais il fallait être au Vatican persona gratissima pour obtenir pareil
honneur, et ceux à qui on le donnait volontiers étaient des archiducs
autrichiens dont le catholicisme était de l’Orient le plus pur. En outre, pour
qu’un Français l’obtînt, il eût fallu que le roi de France le demandât pour lui
au pape, ce qui dans le prédicament présent était tout à fait exclu. La Cour se
gaussa fort à cette occasion du pauvre chancelier, les uns disant que ses quatre-vingts
ans dérangeaient ses mérangeoises, d’autres, avec plus de méchantise, qu’étant
quasiment au bord de la fosse il voulait y choir dans la pourpre.
Chose étrange, la hache mit encore quelques mois à tomber
sur les Brûlart. Non que l’envie ne démangeât Louis de les tronçonner mais il
ne savait pas comment les remplacer : il n’aimait pas La Vieuville, homme
d’épée ayant marié une noble de robe cousue d’or, qui cumulait les défauts des
deux castes : l’avidité du bourgeois et l’arrogance du seigneur. Et bien
que Louis sentît mieux que personne le génie du cardinal de Richelieu, il
craignait de gémir en lui confiant les affaires sous une double tyrannie :
la sienne et celle de sa mère.
Cependant Richelieu ne demeurait pas inactif. À force de
douceur, d’adresse et de suavité, il empêchait la reine-mère de se jeter dans
des intrigues inutiles et surtout d’éclater en ces folles colères qui
ébranlaient le Louvre et qu’elle faisait suivre par de sottes et interminables
bouderies. Lui-même ne laissait pas pourtant d’intriguer, mais avec une adresse
à laquelle la malheureuse n’aurait jamais pu atteindre ni dans ce monde-ci, ni
même dans l’autre.
Richelieu avait un intendant dont il était content, lequel
avait un frère, Fancan, chanoine de Saint-Germain-l’Auxerrois, qui partageait
d’aucunes des vues du cardinal et possédait en outre une bonne plume, verveuse
et acérée. Richelieu le poussa à utiliser ce talent inemployé et, au moment où
Louis commençait à se dégoûter des Brûlart, Fancan publia un pamphlet intitulé La
France mourante, dans lequel il peignait les ministres sous leurs
véritables couleurs, leur reprochant « leur lâche abandon de la Valteline
et leur gloutonne avarice des deniers publics », laquelle allait
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