Les Roses De La Vie
et Fogacer. Cette idée n’était pas de mon cru, elle
m’avait été suggérée par le capucin et acceptée en un battement de cil par le
chanoine, chacun étant fort curieux de connaître l’autre pour la raison que
chacun nageant dans des eaux différentes quoique proches, ils espéraient l’un
par l’autre s’instruire.
Je n’eus jamais un début de souper aussi silencieux que
celui-là : on mangeait, on buvait, on faisait l’éloge des viandes et des
vins, on s’envisageait, on baissait les yeux, on s’envisageait derechef, on se
renfermait sur soi. À la parfin, voyant que chacun de mes invités demeurait
boutonné jusqu’à sa pomme d’Adam, j’imaginai de donner un peu plus d’aise au
discours et je dis :
— Messieurs, tous trois ici, nous savons à qui
appartient chacun de nous. Je suis au roi, le père Joseph est au cardinal, et
Monsieur le chanoine Fogacer est au nonce. Convenons donc une bonne fois pour
toutes que chacun parlera ici en son propre nom et non point au nom de celui
qu’il sert. Nous serons plus à l’aise dans nos propos, lesquels, de reste, nous
nous engageons à ne pas répéter en nommant leurs auteurs.
Cette proposition fut chaleureusement acceptée alors même
qu’elle était chattemite, car aucun de nous ne pouvait ignorer que la
connaissance qu’il avait de telle ou telle intrigue lui venait de la personne
qu’il servait. Mais l’avantage de ma suggestion était trop évident pour qu’on
la rejetât. Elle rassurait nos consciences et nous permettait de ne pas
paraître indiscrets tout en l’étant. Or nous avions le plus grand intérêt à
l’être, si nous voulions que l’autre le fût à son tour et nous apprît ce que
nous ne savions pas.
— Messieurs, repris-je, la question que je voudrais
poser est celle-ci : qu’elle est la position de La Vieuville maintenant
que les Brûlart sont tronçonnés ?
— Il craint de subir le même sort, dit le père Joseph,
et il n’a pas tort de le craindre, car il a commis les mêmes errements que les
Brûlart.
— Hormis un seul, dit Fogacer. Il n’a pas touché, comme
ont fait les Brûlart, une bonne poignée d’or espagnol pour endormir notre
diplomatie sur le problème de la Valteline.
Je reçus ici confirmation que le nonce était persuadé qu’il
y avait eu un bargouin conclu entre les Habsbourg et les Brûlart, lequel ne
pouvait que ressortir à la plus odieuse trahison.
— En fait, reprit le père Joseph, tous les griefs que
le roi a mis en avant pour tronçonner les Brûlart, sauf un en effet, il
pourrait les répéter à La Vieuville. La Vieuville a trafiqué des charges,
changé à l’insu du roi les décisions du Conseil, traité contre son ordre, etc.
— On peut ajouter à cela, dis-je, son arrogance, sa
brutalité, son refus de payer les pensions accordées par le roi. Savez-vous
qu’à ceux qui viennent lui réclamer leurs arrérages, il répond selon l’époque
de l’année : « Je me nomme Janvier, et non pas Octobre », ou
bien : « Je suis La Vieuville et non pas Pécules. » Je vous
laisse à penser si ces refus accompagnés de ces pantalonnades le font aimer de
la Cour.
— La défaveur du roi et la haine de la Cour, dit
Fogacer, cela fait beaucoup. Savez-vous quel recours peut avoir La Vieuville
pour se tirer d’affaire ?
— Il courtise la reine-mère, dit le père Joseph, et
encore qu’elle boude encore, elle le reçoit.
— Comment, dis-je, elle boude encore ?
— Oh ! cela n’est presque plus rien, dit Fogacer.
À Paris elle ne sortait quasiment plus du Luxembourg et ne mettait plus les
pieds au Louvre. À Compiègne elle aime tant les fêtes qu’elle ne peut qu’elle
n’y assiste, mais elle bat toujours un peu froid au roi.
— Toutefois, dit le père Joseph en élevant la main
droite, grâce au cardinal elle a fait dans la bouderie de très gros progrès.
Elle boude certes, mais sans faire de scènes, ni se répandre en criailleries,
ni faire des mines furibondes. Elle boude avec une dignité véritablement
royale, et boudera ainsi, dit-elle, tant que son fils n’admettra pas le
cardinal en son Conseil.
— À la vérité, le cardinal nous changerait bien
pourtant de tous ces picoreurs, dit Fogacer qui pour la première fois, et
devant le père Joseph, faisait ainsi acte d’allégeance à Richelieu.
J’en conclus que le nonce ne verrait pas d’un mauvais œil un
cardinal à la tête des affaires de France.
— Le dilemme qui
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