Les sorciers du ciel
conditions à remplir que vous connaissez aussi bien que moi : l’autorisation de l’évêque de qui dépend le séminariste, l’autorisation de l’archevêque de Munich dans le diocèse de qui se fera l’ordination. Dachau dépend de Munich.
Le père de Conninck était illuminé de joie.
— C’est bien entendu ainsi. Les prêtres allemands se chargeront des autorisations, mais nous voulions au préalable avoir votre consentement puisque vous êtes le seul ici à pouvoir donner le sacerdoce.
Le soir même le père Otto Pies s’agenouillait au chevet de Karl Leisner. La réponse du diacre devait le surprendre :
— Ici ? Ce serait merveilleux !
Il pleurait.
— Ce serait merveilleux, mais impossible…
— M gr Piguet…
— En aucun cas ! Que dirait-on chez moi, dans ma paroisse ? Là-bas, chacun se réjouit à la pensée d’entendre ma première messe. Et puis quelle ingratitude envers mes parents ! Il me faut attendre, encore, j’attends depuis près de six ans, attendre, retrouver la santé, rentrer chez moi et y être ordonné…
Quinze jours plus tard l’aviation alliée rasait Clèves, la ville natale de Karl. Sa rue, sa maison, son église… détruites. Le père Pies le réconforta. Karl lui prit les mains.
— Maintenant oui ! Maintenant je veux. Que la volonté du Seigneur soit faite.
*
Nous étions le 17 octobre.
M gr Piguet décida :
— Dans un mois, jour pour jour, le 17 décembre ; le troisième dimanche de l’Avent. Tout sera prêt ?
Le chanoine capitulaire Reinhold Friedrichs, doyen des blocks de prêtres réfléchit une longue minute :
— Monseigneur, tout sera prêt.
Le soir même, à la menuiserie, le père trappiste Spitzig s’attaque à la crosse épiscopale : feuilles de cytise à nervures dorées, portant une croix grecque.
Le prince Loewenstein décide de gratter le parquet de la chapelle, de repriser les tapis et de leur tresser de nouvelles franges.
L’abbé Schelling, démonte les « anges adorateurs » découpés dans des boîtes de conserve et qui, depuis deux ans, ornent la porte du tabernacle. Le Kommando des usines Messerschmidt en préparera de plus « réalistes ». L’organisation communiste de l’usine se charge également de l’anneau pontifical et de la croix pectorale. En s’excusant, le responsable réclame un plan à l’abbé Schilling et ajoute :
— Nous pourrons les faire en or…
L’abbé refuse :
— Du laiton s’il vous plaît !
— Très bien. Notre meilleur artisan est russe. Le travail sera soigné.
Chaque responsable national, averti de « l’événement » par le doyen des prêtres, veut participer… mais pour garder le secret, le mot « ordination » est rayé de toutes les langues du camp. On parle de « primiz » :
— Ainsi, un S.S. peut poser des questions ; s’il y a une « fuite », nous répondrons qu’il s’agit simplement d’une première prière devant l’autel.
L’abbé Durand, un oblat anglais, « organise (221) » la soie et les perles pour la mitre, dans les magasins de la chambre à gaz. Les secrétaires du bureau des entrées se chargent de la confectionner. Un pasteur protestant propose de broder les sandales liturgiques.
Les « cousettes » du block 28, recueillent tous les bouts de « tissus nobles » pour la préparation des vêtements sacerdotaux. L’abbé de la Martinière remporte la palme de la débrouillardise en découvrant des soies liturgiques de Rabbin dans un ballot de vieux chiffons en provenance d’Auschwitz. Le lendemain, le même prêtre déposait, au block, une descente de lit aussitôt défilée.
Les « surplus » du ghetto de Varsovie fournissent d’autres pièces utilisées pour la soutane violette et le camail de M gr Piguet.
Pendant ce temps, deux prêtres jardiniers des « plantations pharmaceutiques » du camp, font sortir par « la porte sur le Monde » une douzaine de lettres. La « Porte », c’est une jeune allemande, postulante chez les Sœurs de la Miséricorde de Freising. Elle vient régulièrement acheter des plantes et comme elle paie très largement, le gardien-chef ferme les yeux. Depuis plus d’un an, elle alimente Dachau en vin de messe et hosties. Elle s’approvisionne dans la ville même de Dachau, chez l’archiprêtre Pfanzelt.
— La maladie (222) de Karl s’était malheureusement aggravée entre temps. Sa vie était réellement en
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