Les sorciers du ciel
Schönstatt.
Il sauta sur le quai. Désespéré, il venait de décider d’interrompre son voyage pour prier dans une petite chapelle consacrée à la Vierge. Le soir, réconforté par trois heures de recueillement et de réflexion, il repartait pour le sanatorium.
Dès la première semaine, un pneumothorax le soulagea. Puis les jours passèrent… reposants… ternes… silencieux… angoissés… L’Allemagne triomphante s’installait dans la guerre. À Saint-Blasien, Karl Leisner tourna le dos à la plupart de ses anciens amis assoiffés de victoires militaires, de destructions. Des fonctionnaires de la Gestapo reçurent des lettres anonymes dénonçant le défaitisme du « futur curaillon, protecteur des Juifs ». Ils les classèrent.
Le 9 novembre, une bombe explosa dans la grande salle de la « Brasserie des Bourgeois » à Munich, une quinzaine de minutes après le départ d’Hitler. Huit morts, soixante-deux blessés. Tous les ans, Hitler commémorait le « sacrifice » des « héros du 8 novembre » qui avaient dégusté une dernière bière dans l’établissement avant de voir échouer leur tentative de putsch (1923).
En 1939, contrairement à son habitude, Hitler « expédia » un discours en quatre phrases et trois battements de paupières. Puis il s’enfuit. Tous les assistants s’étonnèrent.
Après l’explosion, plusieurs membres du Parti, « entre eux », confessèrent que la charge n’avait pas été « prévue » pour « causer de tels dégâts, de telles pertes ». Trop tard ! Le lendemain, le menuisier Elser (220) avouait :
— J’ai tout organisé et réalisé.
Au sanatorium de Saint-Blasien, tous les malades se congratulèrent :
— Heureusement que notre Führer était parti… La bombe placée derrière la colonne où il s’était adossé pour parler l’aurait tué. Quel miracle !
Tous, sauf le diacre Karl Leisner.
— Et moi je dis : dommage que le Führer n’ait pas été présent…
Ils hurlèrent :
— Écoutez-moi !
Un jeune garçon le gifla !
— Écoutez ! Comprenez ! Si le Führer avait été là il n’y aurait pas eu d’explosion, pas de morts, pas de blessés.
Quinze jours plus tard il était arrêté :
— Vous avez bien dit : « Dommage que le Führer n’ait pas été présent ? »
— Oui ! Bien sûr, mais j’ai ajouté…
— Vous reconnaissez avoir dit…
Prison de Fribourg. Camp d’Oranienburg. Enfin Dachau le 8 décembre 1940.
Les ecclésiastiques allemands le recueillent, le protègent, lui évitent les Kommandos difficiles et, lorsqu’en mars 1942 il est terrassé par une hémorragie pulmonaire, persuadent les Kapos du Revier de l’admettre dans le block des tuberculeux. La « solidarité » allemande surveille le jeune théologien et achète « sa survie ». Cigarettes, chocolat, café, alimentent les réserves de quelques personnages influents du Revier qui cachent Karl Leisner à l’approche de chaque visite de sélection pour le camp de « repos » ou le four crématoire.
Karl, mieux qu’aucun autre diacre libre, remplit totalement sa tâche de « gardien du sanctuaire du Seigneur ». Sous sa paillasse, une boîte de cirage contient des hosties consacrées. Les prêtres qui pénètrent clandestinement dans l’enceinte des blocks de malades, pour préparer les mourants, utilisent ce « tabernacle » toujours offert.
À chaque visite, Karl, souriant, ému, confie :
— Un jour, je serai prêtre. Je dois lutter pour vivre, pour au moins connaître la joie de ce don total…
En septembre 1944, Karl Leisner est condamné par les médecins déportés :
— Tout juste un mois, peut-être deux…
Le 5 septembre, M gr Gabriel Piguet, évêque de Clermont-Ferrand, arrivait à Dachau.
Quelques jours plus tard, le R.P. de Conninck, jésuite, professeur à l’université de Louvain et supérieur de la résidence de Bruxelles, « présenta » à M gr Piguet le cas Leisner. Il ajouta :
— Les médecins ne lui donnent que deux mois à vivre. Consentiriez-vous à lui conférer l’ordination sacerdotale. La création d’un prêtre dans ce camp d’extermination des prêtres, serait une revanche de Dieu et un signe de victoire du sacerdoce sur le nazisme.
— Mon Père, un évêque ne saurait se dérober quand il s’agit de communiquer le sacerdoce et je n’hésiterai pas un instant à faire cette ordination. Il y a cependant des
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