Les sorciers du ciel

danger et nous craignions qu’il ne puisse parvenir au jour de l’ordination. La fièvre montait, la faiblesse se généralisait. Il ne dormait plus. Il portait le masque de la mort et nous étions tous très inquiets. Seul Karl conservait bon moral. Il disait   : « J’ai confiance   ! Dieu me donnera la force nécessaire. » Karl s’entraînait sur sa paillasse au cérémonial de la Sainte-Messe. Pour cela la menuiserie lui avait sculpté un calice de bois. Il arrivait sans peine à méditer profondément dans cette pièce surpeuplée, au milieu de ce bruit étourdissant.
    Première alerte le 5 décembre. Le doyen des blocks de prêtres est convoqué chez les S.S. de la censure postale.
    — Alors j’ai lu, dans une lettre expédiée par un prêtre à ses parents, que vous prépariez une « primiz ».
    — Oui   ! Et alors   ?
    — Qu’est-ce que c’est que ça une « primiz »   ?
    — Oh rien de dangereux… une sorte de prière dans la chapelle… la première vraie prière d’un séminariste. Nous sommes autorisés à prier, n’est-ce pas   ?
    — Oui   ! Oui   ! Très bien.
    Le lendemain, la « Porte sur le Monde » introduisait dans le camp un rituel pontifical, l’huile des catéchumènes nécessaire à l’ordination, les tunicelles, les gants, une mitre et une lettre de la sœur de Karl Leisner.
    Le père de Conninck, rayonnant, tendit la lettré à M gr  Piguet   :
    — C’est l’autorisation de l’archevêque de Munster, M gr  Graf Von Galen.
    Lettre banale   :
    — Ici tout va bien, nous espérons…
    Et soudain, au milieu de la première page, M gr  Piguet aperçut trois lignes qui, visiblement, n’avaient pas été écrites par la sœur de Karl   :
    — J’autorise les cérémonies demandées à la double condition qu’elles puissent être faites validement et qu’il en reste une preuve matérielle certaine.
    Suivait la signature, par le seul prénom, de l’archevêque de Munster. Le père de Conninck demanda   :
    — Le document vous suffit-il   ?
    — Parfaitement   ! En pareille circonstance, je ne puis exiger une pièce authentique de chancellerie. L’essentiel pour moi est d’avoir la certitude de l’appel de l’ordinand par son évêque et son approbation, dans les circonstances présentes, sert d’équivalent aux indispensables lettres dimissoriales (223) .
    Le cardinal Michael Faulhaber, archevêque de Munich, fit parvenir son autorisation par la même « Porte » et dans une lettre identique.
    Le vendredi 15 décembre, Karl Leisner était « enlevé » du Revier des tuberculeux et caché dans le block des prêtres. Pendant deux heures, en « petit comité », on répéta la cérémonie   ; puis, toujours clandestinement il regagna le Revier.
    *
    Le dimanche 17 décembre, après l’appel du matin, les pères de Conninck et Pies attendent Karl Leisner à la grille du Revier. Le Kapo soutient son malade.
    — Tout ira bien   ; le médecin lui a fait une injection de caféine.
    Karl ajoute   :
    — Merci mon Dieu   ! Tout ira bien   !
    Dans la chambre n° 2 du block des prêtres, l’abbé Goldschmitt lui serre les deux mains et pleure de joie.
    Karl est en rayé bleu et blanc.
    Sous sa chemise, à même la chair, il a noué une ceinture de toile. Elle a été brodée par celle qui, autrefois, avant le séminaire, devait devenir sa fiancée. Elle porte ces mots   : « Vinctus Christi » – Prisonnier du Christ. Karl a reçu la ceinture dans sa cellule de la prison de Fribourg, il y a cinq ans.
    Il revêt l’aube blanche, baise l’étole.
    Sur son bras gauche la chasuble pliée.
    Dans la main droite un cierge allumé.
    M gr  Piguet s’est habillé.
    Or et lumière   !
    Sur les sandales rouges, merveilleusement ornées par le pasteur protestant, se casse le revers effiloché du pantalon zébré.
    Dans la chapelle se sont installés tous les prêtres du diocèse de Munster présents au camp, les amis de Karl, le Kapo de son Revier, les prêtres âgés, les supérieurs, toutes les personnalités ecclésiastiques de la communauté, une trentaine d’étudiants en théologie (224) .
    Chacun des trois cents participants sait qu’il va assister à un événement historique, unique dans les annales de l’Église.
    Sur un signe du chanoine capitulaire, Reinhold Friedrichs, les étudiants entonnent le « Ecce sacerdos magnus »… Voyez le grand prêtre…
    M gr  Piguet pénètre dans la chapelle. Derrière lui