Les sorciers du ciel
jocistes, des scouts ; ceux-ci furent très peu nombreux. La vie des ouvriers en Allemagne s’avéra aussi moins facile qu’il n’avait escompté ; ce qui le força à modifier ses plans d’apostolat. Il dut en « rabattre ». Quand il travaille de 6 heures du matin à 6 heures du soir, l’ouvrier, le soir, n’aspire qu’au repos. Beaucoup d’ouvriers français n’avaient même pas le courage de s’habiller le dimanche pour sortir. Cependant, avec ténacité, le Père a réalisé quelque chose du plan qu’il s’était proposé : créer des groupes d’amitié, gonfler quelques militants qui eurent de l’influence dans son camp et dans ceux d’alentour, en sorte qu’après son départ l’action continua.
— Chaque dimanche, à 18 heures, il disait la messe pour les ouvriers français qui, à Wuppertal, étaient environ deux mille. Y venait qui voulait. Ces messes ont laissé à ceux qui les ont suivies un souvenir inoubliable : spécialement le petit sermon d’après l’Évangile : c’était une explication approfondie des moindres rites de la messe…
— Le Père était arrivé comme électricien dans l’usine. Son bagage professionnel, à vrai dire, était mince ; aussi eut-il parfois, surtout dans les débuts, du mal à découvrir la cause de certaines pannes et à y remédier. Il me racontait un jour que, quand il se trouvait ainsi en difficulté, il laissait tomber à terre un outil, comme si celui-ci lui avait échappé, et qu’alors, se mettant quelques secondes à genoux pour le ramasser, il priait Dieu pour obtenir de réussir son travail puisque celui-ci était ce qui conditionnait son apostolat. Jamais, affirmait-il, cette prière ne fut vaine. Bientôt d’ailleurs, un aide, un Russe, lui fut donné, qui du point de vue technique lui était de beaucoup supérieur. Il sut bientôt du reste qui était le Père. Ses conseils furent d’un grand secours. Auprès des Français qui travaillaient dans son usine de roulements à billes, presque tous paysans et d’un égoïsme sordide (jamais ils ne partagèrent les nombreux colis qui leur arrivaient), le Père acquit bientôt un ascendant extraordinaire. Voici comment il s’y prit : un ouvrier tombé malade n’ayant pas été reconnu par le médecin de l’usine, le Père l’emmena à l’hôpital Saint-Joseph où, examiné par un des médecins catholiques, il fut immédiatement hospitalisé. Fureur du patron. Mais ce fut bien pis lorsque, quelque temps après, l’ouvrier réformé était renvoyé en France. Cinq fois le Père renouvela son geste, qui fut l’occasion de deux rapatriements. Cela, la direction ne le lui pardonna pas. À l’ingénieur qui un jour le blâmait de cette intempestive ingérence : « Je suis Français, répondit le Père, et tant qu’il y aura des Français malades dans l’usine et qu’ils ne seront pas reconnus par votre médecin, j’agirai de la sorte. » C’est, semble-t-il ce qui occasionna les premières délations.
— D’ailleurs, tout le monde savait qu’il était prêtre. Les premiers temps, quand il se rendait dans un camp et y rencontrait des Français, il le leur avouait carrément. N’était-ce pas nécessaire pour son ministère ? Un jour qu’il se révélait ainsi à un groupe d’une dizaine d’ouvriers, un Allemand était présent. Avant de prendre gîte à l’hôpital Saint-Joseph, il logea durant quelques mois, au camp même, dans une petite pièce qu’il partageait avec un policier-gardien : une mince cloison de planches n’allant pas jusqu’à hauteur du plafond les séparait. Le policier regardant un jour par le trou qui, pratiqué dans la cloison laissait passer un tuyau de poêle qui chauffait les deux pièces, aperçut le Père revêtu des ornements sacerdotaux ; cependant il ne le dénonça pas. Une entente tacite s’était établie entre les deux coupables : le policier recevait fréquemment, en effet, galante compagnie, – pratique formellement interdite – aussi était-il reconnaissant du silence discret de son voisin. Presque chaque matin un nouveau servant venait répondre à la messe.
Mais le policier avait des amis et l’un d’eux dénonça le Père. À la prison de Wutterpal, détenu « de marque », il reçoit la visite de deux ou trois jeunes chrétiens. Il en profite pour leur confier ses lettres, ses manuscrits avant son départ pour Dachau (232) .
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Au block d’arrivée, le père Dillard retrouve
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