Les sorciers du ciel
le R.P. Riquet qui, lui, vient de Mauthausen :
— Il était coiffé (233) , comme par hasard d’une casquette de chef de gare aux initiales de la S.N.C.F. Il n’avait guère changé, maigri sans doute, mais les yeux étaient toujours aussi bleus, le sourire malin, les mains glissées dans les manches, les épaules un peu voûtées… Quelle joie de nous retrouver là !… Ensemble, nous avons vécu dans le block de quarantaine, mais non pas, malheureusement dans la même chambre : nous étions aux deux bouts opposés du block, moi avec mes camarades prêtres venant de Mauthausen, lui avec des Russes, des Polonais, mais bientôt aussi des prêtres belges.
— Le père Dillard venait nous voir de temps en temps. Il s’installait tant bien que mal au bout de notre lit, en travers, et bavardait. Il évoquait sa grande randonnée à travers les États-Unis, sa rencontre avec Roosevelt ; dessinait la physionomie du clergé et de l’épiscopat américain, rappelant ses contacts passionnants avec les protestants américains, ses souvenirs sur Bourrasol, dont il avait été l’aumônier. À son tour il était prisonnier, sans messe cette fois, mais non pas sans communion. Quelle joie, le jour où, dans une boîte de pastilles Guyot, je lui apportai la sainte communion ! Plus d’une fois nous avons fait ce précieux partage. Et il ne voulait pas en profiter seul. Il y faisait participer plus d’un de ses camarades, très particulièrement un commandant français, des Belges, des Hollandais avec lesquels il continuait de s’entretenir de ces questions monétaires qui avaient été le thème de ses dernières études.
Le R.P. Riquet quitte son ami. La quarantaine de « ceux de Mauthausen » est terminée. Edmond Michelet lui apportera désormais des hosties consacrées. Et soudain, en quelques jours, c’est le drame : panaris, tumeur au genou, état septicémique… Suire… Démarches… Revier.
— Il est (234) d’une rare distinction. Le visage allongé est pâle et émacié. Les traits tirés pincent le nez aquilin et font ressortir les pommettes, les cernes agrandissent encore ses yeux légèrement globuleux, bleus gris. Le grand front est d’une remarquable beauté ; trois qualités apparaissent sur ce visage : la volonté, la bonté et l’intelligence… Le soir de son arrivée au block 1, il se sent mieux ; déjà il a fait connaissance avec tous les Français auxquels il donnera les colis qu’il reçoit de Jésuites d’Allemagne. Pendant toute sa maladie, il sera soigné avec un dévouement inlassable par Lassus, ancien normalien, chargé de cours d’histoire byzantine à Strasbourg, et par Morin (de son nom réel Ninot) « stubedienst » , chef F.T.P. de la Saône-et-Loire, ayant quarante déraillements sur la conscience. Il sera souvent veillé par un de nos amis, un malade de la salle, Perrot, médecin à Auxonne qui, quelques semaines plus tard, attrapera le typhus dans l’enfer du block 21, en soignant ses camarades.
Dans la soirée du 24 décembre, l’état du père Dillard s’aggrave. Le médecin déporté avertit le R.P. Riquet. Le malade communie et lorsque le père Riquet le quitte :
— Attendez ! J’espère encore guérir. Le cœur va mieux. Mais si je dois y rester, c’était prévu au départ et c’était offert pour l’Église, pour la classe ouvrière.
Le lendemain : légère amélioration qui devait se « maintenir » jusqu’au 8 janvier 1945.
— L’articulation (235) du genou devint volumineuse, nous soupçonnons une arthrite purulente. Le lendemain, notre impression se confirme. Nous demandons une ouverture. Sous le couvert d’une transfusion de 150 cc de sang, que nous avons la joie de pouvoir lui donner, l’intervention est pratiquée : il s’écoule un flot de pus. Une contre-incision est nécessaire pour drainer une fusée vers la cuisse… Le soir du 11, nous pensons que seule l’amputation est peut-être susceptible de le sauver. Nous en avertissons le père Riquet et le père de Conninck.
À 6 heures du matin, le docteur Suire est décidé :
— Mon Père, la suppuration progresse, vous vous fatiguez. Vouloir garder ce membre peut conduire à des désastres. L’amputation vous sauvera.
— Je ne fais aucune difficulté ; c’est accepté.
Il sourit.
— En amputant, on ne coupe pas l’âme, alors on peut y aller.
Le père Dillard reçoit une nouvelle transfusion sanguine, Wrubloski et
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