Les sorciers du ciel

au-dessus d’une vie bestialisée et surtout l’or de nos cœurs   : du cœur de nos petits qui Vous ressemblent, et c’est tout dire   ! du cœur de nos épouses – notre plus cher trésor – et l’or de nos cœurs qui ne veulent pas durcir, mais qui veulent être prêts à réchauffer l’humanité sitôt que les armes seront tombées, impuissantes, sous le regard radieux de Votre Amour vainqueur et pacificateur.
    — Donnez enfin la paix à tous ceux qui, comme nous, sont des hommes pauvres, mais de bonne volonté. Ainsi soit-il.
    *
    Le 18 février 1945, premier dimanche du carême, l’abbé Lavallart disait sa dernière messe puis « entrait » au Revier. La semaine suivante, le Kapo demanda les matricules de tous ceux qui se sentaient incapables de suivre à pied « une évacuation ». L’abbé s’inscrivit.
    Tous les « Musulmans » furent dirigés sur Mauthausen.
    — Trois jours (110) et trois nuits de voyage, complètement nus   ; beaucoup devaient mourir de froid. Arrivés au camp, nous fûmes rangés par groupes de cent, puis le camion pompe nous arrosa copieusement. Il faisait 20° au-dessous de zéro. Le soir, nouvelle douche pour les survivants puis on nous rassembla dans la cour devant le crématoire, et le massacre commença. L’abbé Lavallart eut un bras fracturé par un manche de pioche, puis il fut abattu (111) .
    *
    À son retour en France, Louis Coste le «  bouffe-curé » qui « savait que Dieu n’existait pas », se convertit   :
    — Je mis en règle ma famille et moi-même avec l’église catholique. Combien j’aurais voulu que ce soit l’abbé Lavallart qui officie   ! Sans lui je ne serais pas revenu.

CHAPITRE XI

L’ÂME DE RAVENSBRÜCK
    Léonie Meysembourg travaille au Kommando des douches, première étape obligatoire pour les arrivantes. Elle « récupère » médicaments, lunettes, nourriture, lainages, chapelets, missels.
    Chaque matin, avant l’appel, mère Élisabeth rencontre Léonie et Léonie chaque matin glisse dans le tablier de mère Élisabeth un nouveau « trésor ».
    Chaque matin, mère Élisabeth sourit. Comment pourrait-il en être autrement   ? Elle est sourire, joie, paix, amour. Elle est exemple. Force. Courage. Prière.
    Chaque dimanche mère Élisabeth lit la messe dans un coin du block 15.
    Le camp vénère mère Élisabeth.
    Le Vendredi-Saint 1945, dans le block, les S.S. appellent les numéros de celles qui ont été désignées par le médecin pour la chambre à gaz.
    Mère Élisabeth ne figure pas sur la liste.
    Elle pleure.
    Toutes les femmes pleurent.
    M lle  Rose embrasse mère Élisabeth   :
    — Priez pour moi   ! Priez pour nous   !
    Des femmes hurlent   :
    — Je ne veux pas mourir   !
    — Je suis jeune, je suis forte. Je peux travailler   !
    — Ne me tuez pas, j’ai des enfants, trois enfants   !
    La petite Luce Gire s’accroche aux jupes de la Mère.
    Une à une les femmes quittent le block.
    Mère Élisabeth s’approche d’une jeune femme.
    — Allons… Il faut être courageuse.
    — J’ai deux enfants…
    Mère Élisabeth fixe la fenêtre   :
    — Allez vite, saute par la fenêtre.
    La femme hésite.
    — Personne ne te voit. Ils cherchent sous les lits, au fond. Vite…
    La déportée s’échappe. Et lorsque le S.S. appelle l’avant-dernier numéro, celui de la déportée qui vient de fuir, mère Élisabeth s’avance. Elle regarde celles qui n’ont pas été désignées   :
    — Je vais au Ciel… Prévenez à Lyon.
    Elle monte dans la charrette.
    Sa main crispée cache une croix de bois. Elle embrasse Rose, Luce.
    — Allons ensemble, je vais vous aider à bien mourir.
    Elle élève la croix.
    — Récitons le chapelet de Notre-Dame des Sept Douleurs (112) …

CHAPITRE XII

BUCHENWALD
    Ils se sont immobilisés devant le block des douches.
    — Silence   !
    Un « ancien », en domino rayé bleu et blanc, a imploré de groupe en groupe   :
    — À manger   ! Donnez-moi quelque chose. Vous ne profiterez de rien. Ils vont tout vous prendre.
    Un S.S. a pointé son stick et a chargé en hurlant. Le domino a disparu derrière la baraque.
    Debout, au milieu de la file des nouvelles recrues de Buchenwald   : l’abbé Georges Hénocque. Il ouvre son bréviaire, fait le signe de croix… Le S.S. « cavalier » charge à nouveau   :
    — Pas de ça ici   ! On admet pas ces sottises.
    L’abbé sourit   :
    — Dieu est partout.
    — Dieu est trop loin, il ne vous