Les sorciers du ciel
entend pas et il ne pourra exaucer vos prières !
— Peut-être n’exaucera-t-il pas ma prière aujourd’hui parce que vous l’interrompez. Mais un jour, Il l’exauça : c’était à la bataille de Verdun, quand je le suppliai de nous donner la victoire…
Le S.S. tourne les talons. Quelques minutes plus tard d’autres officiers, dans l’« antichambre » s’acharnent sur le prêtre. Sa soutane est lacérée, son bréviaire déchiré, l’imitation de Jésus-Christ piétinée, le chapelet broyé.
— Dieu n’existe pas !
Pour la première fois de sa vie, l’abbé ne réplique pas. L’eau de la douche noie sur son visage ses premières larmes de déporté.
Georges Hénocque, le plus célèbre des aumôniers militaires français de notre siècle (113) , a soixante-quatorze ans en débarquant sur le quai de Buchenwald. Il n’a pas hébergé chez lui d’aviateur abattu, il n’a pas servi de boîte à lettres, il n’a jamais transporté d’émetteur radio, il s’est simplement contenté de parler en chaire, chaque dimanche, pendant trois ans, développant inlassablement le même thème :
— L’occupant demeure l’ennemi. Jamais la France n’acceptera l’esclavage. Nous devons refuser toute collaboration et par tous les moyens chercher à chasser l’oppresseur.
Un jour « enfin » il est convoqué au siège de la Gestapo, rue des Saussaies. Il pourrait fuir.
— J’ai toujours dit à mes cyrards, à mes hommes de ne jamais craindre l’Allemand, de ne jamais lui céder même sous la menace de mort. Et moi !… Non ! Je vais aller leur dire leur fait, sans périphrases, à la française (114) .
Le 1 er août 1944 il se présente rue des Saussaies. Un civil traverse la cour :
— Je cherche la chambre 525.
— Je vous plains ! C’est une des salles de tortures et le commissaire passe pour être le plus terrible des agents allemands, vous le reconnaîtrez, c’est un rouquin.
Le grand roux n’est guère habitué à ce que les suspects se rendent à ses « invitations ». Il règne sur un adjoint brun, un bureau chargé de dossiers, une baignoire en parfait état de fonctionnement, des anneaux de fer fixés au mur, une centaine d’instruments chirurgicaux alignés sur une table basse.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Voici ma convocation.
— C’est bon ! Allez attendre dans le corridor.
Une heure de « banquette ».
— Rentrez !
La porte s’est refermée brutalement.
— Asseyez-vous, ordonne le commissaire.
— Non monsieur !
— J’ai dit : asseyez-vous.
— Non monsieur. Quand je parle, j’ai l’habitude de rester debout (115) .
— Alors restez debout, mais ne vous appuyez pas sur mon bureau.
— Votre bureau ? Oh monsieur, vous faites erreur. Ce bureau n’est pas à vous ; il est à nous. On vous le prête, c’est entendu, pour… une quinzaine encore, mais il nous reviendra.
Le grand roux ne trouve plus ses mots. Il frappe du poing, du pied, hurle en allemand…
— Monsieur ne vous gênez pas, continuez à votre aise. Je ne comprends pas un mot d’allemand.
— Ça suffit ; je vais vous interroger en français.
— Je ne répondrai pas.
— Comment, vous ne voulez pas répondre ?
— Non monsieur, car j’ai fait du droit pendant deux ans et je me rappelle qu’un juge en colère ne saurait rendre une sentence équitable. Remettez vos esprits et vous pourrez alors m’interroger.
— Taisez-vous, je ne vous ai pas convoqué pour me faire un sermon.
— Ce n’est pas un sermon. Si c’en était un, j’aurais fait intervenir saint Paul, qui se montrerait beaucoup plus sévère.
Le grand roux, lèvres gonflées, se lève. Le petit brun lui tend un papier.
— Et ça ? Tenez voici la lettre qui vous dénonce ! Lisez !
L’abbé Hénocque parcourt la feuille dactylographiée.
— Une lettre anonyme ! C’est une lâcheté et le Français n’accepte pas la lâcheté. Vous, vous en faites votre profit !
Il jette la lettre sur le bureau. Calmement, le grand roux la reprend :
— Eh bien ! je vais vous la lire. Vous nous traitez de « casques verts ».
— « Casques verts » ?… Non, monsieur, ce n’est pas là mon style. C’est une sottise et je ne suis pas assez sot pour en proférer de semblables. Vous devez vous tromper de dossier. Cherchez mieux.
— Vous nous avez appelés brutes et sans cœur.
— Ah çà… oui,
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