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Les sorciers du ciel

Les sorciers du ciel

Titel: Les sorciers du ciel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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c’est de moi   ! Je reconnais mes paroles.
    — Pourquoi avez-vous dit cela des Allemands   ?
    — Pourquoi monsieur   ? Vous allez le savoir. J’avais au Val-de-Grâce un petit Saint-Cyrien de vingt ans qui me disait   : « Ce sont des brutes monsieur l’aumônier   ! Ils m’ont rapatrié quand il a été trop tard, quand on ne pouvait plus me sauver, afin qu’il y ait un officier français de moins… » Ce ne sont pas ces mots de « brutes » et de « sans cœur » qui vous ont exaspérés. Ce qui n’a pas pu passer, je vais vous le dire. C’est la péroraison du sermon qu’on vous a rapporté. « Seigneur Jésus, ai-je crié du haut de la chaire, faites-moi vivre assez longtemps, je vous en supplie, pour voir ces gens qui souillent notre sol tourner les talons, et pour retrouver ma France dans l’honneur et la liberté   ! »
    Le commissaire écarlate referme son dossier   :
    — Une dernière question. N’avez-vous pas dans votre ascendance, des parents juifs   ?
    — Certainement monsieur.
    — Je m’en doutais, s’exclama-t-il, la figure épanouie.
    — Oui, mais ce dont vous ne vous doutez peut-être pas, c’est que vous les avez aussi ces parents. Vous descendez d’Adam tout autant que moi.
    — Mais votre nom   ? alors…
    — Monsieur, vous montrez bien là que vous êtes un vulgaire païen car, si vous connaissiez la Bible, vous sauriez que le nom du prophète s’écrit Enoch tandis que le mien est Hénocque.
    Vingt jours plus tard, l’ancien aumônier de Saint-Cyr se retrouvait à Buchenwald.
    *
    Le 27 août (116) , premier dimanche après notre arrivée, navré de ne pouvoir célébrer le Saint-Sacrifice, je réunis une douzaine de confrères, captifs comme moi, et leur proposai, puisque nous étions privés de tout office, même de la récitation du bréviaire, de nous entretenir de quelque sujet religieux. Ils acceptèrent avec joie et me trouvant être leur doyen d’âge, je leur fis part des réflexions qui me venaient sur l’efficacité spirituelle des épreuves qui nous accablaient. Des prisonniers, arrivés de Compiègne, circulaient aux environs. Notre réunion les intrigua. Ils nous observèrent, s’approchèrent, écoutèrent eux aussi. D’autres, plus éloignés, attirés par la vue de notre groupe, s’y joignirent. Peu à peu, et fort rapidement, ces malheureux, hâves, épuisés, dont beaucoup depuis des mois étaient livrés au découragement, sans l’ombre d’un secours moral, d’une parole amie, s’assemblèrent autour de nous. Ils furent bientôt quatre cents. Quand je vis ces pauvres visages tendus vers moi, ces yeux décharnés où s’allumait une lueur d’intérêt, presque d’espérance, quand je sentis toutes ces âmes déprimées implorer du secours, mon cœur n’y tint plus. Je me levai et parlai avec tout l’élan de ma compassion.
    J’expliquai à mon auditoire improvisé comment ces souffrances quotidiennes, les sévices endurés, les humiliations, les déchirements broyant leur âme, bien loin d’être perdus, constituaient le rachat de notre patrie. Je leur démontrai que jamais rien de grand ne se fit sans cette vertu du sacrifice… Le monde actuel, enlisé dans son matérialisme et menacé d’une oppression féroce, avait besoin pour être sauvé, de l’épreuve chrétiennement acceptée par une élite, cette petite élite qu’ils pouvaient former, eux, au sein de leur misère. Toutes les pensées qui jaillissaient de mon cœur, je les leur apportai dans l’affection la plus paternelle. À mesure que je parlais, je voyais ces pauvres gens se ranimer, se redresser, l’espoir les soulever, les arrachant à leur déchéance   ; un baume pénétrait leurs blessures (117) . À la fin, emportés, oubliant tout à fait où ils étaient, ils applaudirent.
    Je n’étais pas trop fier car, jusqu’alors, les applaudissements ne m’avaient guère réussi (118) … De fait, je le sus plus tard, immédiatement après cette causerie, un sous-chef de chambre polonais allait me dénoncer.
    La nuit passa. Hélas   ! le lendemain matin, le chef de chambre vint m’avertir qu’on me demandait à la « tour ». Pour comprendre ce que j’éprouvais alors, ce qu’éprouvaient ceux qui m’entouraient, il faut savoir ce qu’était la « tour ». Construite à l’extrémité de la place d’appel, de telle sorte qu’il fallait passer sous l’arcade creusée en son centre pour pénétrer jusqu’aux bâtiments, la

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