Les sorciers du ciel
force et lui la faiblesse. Mais il y a deux mots, dans mon cerveau et dans mon cœur : Dieu et la France. Et ces deux-là, vous ne les enlèverez jamais.
— Allez-vous en ! crie-t-il, comme à bout de patience.
Je comprends que ce n’est pas le moment d’insister…
— Merci, monsieur, dis-je, en prenant la porte.
Je redescends, vivant ! l’escalier que j’avais monté quelques instants plus tôt, convaincu que je vivais ma dernière heure.
Arrivé au sol, je me tâte les bras, la poitrine, pouvant à peine croire à la réalité, et remerciant avec ferveur la Providence.
Cette scène inouïe avait été pour moi d’une gravité si décisive qu’elle est restée absolument intacte dans mon souvenir. Je l’ai rapportée avec exactitude et jusqu’aux moindres détails. Seule mon audace m’avait sauvé. J’ajoute que je n’eus guère de mérite à tenir tête à l’ennemi tant j’étais persuadé qu’il allait m’exécuter.
Le lendemain, paraissait dans le camp un ordre défendant, sous peine de mort, toute espèce de manifestation du culte, fût-ce la lecture d’un livre religieux ou la récitation d’un chapelet.
Je vis venir à moi un jeune homme de vingt à vingt-deux ans, des larmes dans les yeux :
— Monsieur l’aumônier, j’ai dans mes affaires un livre de prières. S’ils le découvrent, ils me tueront. Ma pauvre mère sera désespérée. Où le mettre ? Comment m’en défaire ?
— Donne-le moi, répondis-je. Ils m’ont arraché mon bréviaire, ton livre le remplacera.
Il courut le chercher et me l’offrit. C’était un diurnal. Je pus réciter mes « Petites Heures », dans le block, en me promenant.
*
Buchenwald (119) n’était pas l’enfer. Mais ce fut un purgatoire, lieu redoutable, creuset de souffrance où se brûlent les scories. L’impur y est plongé, mais – et c’est l’essentiel – la grâce passe !
— Écoute, Jean, me dit un jour un révolutionnaire du temps de paix, je crois que j’ai compris. Si nous parvenons à nous en sortir, au retour, je fais baptiser mes enfants…
Nous étions un groupe de sept, couchés côte à côte sur le sol, maigres et faibles. Aujourd’hui était peut-être notre dernier jour. Nous étions comme des explorateurs d’abîmes tombés au fond d’un trou aux parois abruptes et sans aspérités où s’agripper. Nous expérimentions notre essence propre : le néant. L’orgueil était enfin vaincu.
L’un de nous dit : « Faisons une prière. »
Et il commença ainsi : « Notre Père qui êtes aux cieux… » Alors les six autres, tous les six autres, même les « durs » ceux qui, dans la vie courante faisaient entendre un fier : « Moi, je suis athée ! » tous les six autres, dis-je, continuèrent tout haut : « … Que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel… » – même si cette volonté est dure pour nous à cette heure. Et ces pauvres corps squelettiques et fiévreux, qui n’avaient rien mangé depuis sept jours, dirent encore : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien… » – nous sommes en train de mourir de faim.
Et ces sept cœurs qui, dans les camps, avaient vu germer en eux un sentiment autrefois inconnu, la haine, demandaient au « Dieu inconnu » : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés… » – même à nos bourreaux, pensèrent peut-être les plus éclairés. « Et ne nous laissez pas succomber à la tentation… » – aujourd’hui celle du désespoir. « Mais délivrez-nous du mal… » de tout ce mal qui depuis des mois nous écrase. « Ainsi soit-il ! »
Ce fut tout. Chacun des sept se tut et retourna à sa souffrance.
*
L’abbé Hénocque entend pour la première fois, en confession, un jeune Breton. Tous deux se promènent bras dessus, bras dessous. Soudain, le chef de chambre polonais surgit :
— Je vous y prends à confesser !
— Oui, mais c’est terminé.
Et brutalement l’abbé Hénocque saisit le bras du Polonais et le passe sous le sien.
— Marchons ! À votre tour ! Je vous écoute, confessez-vous. Et de plus, je vous avertis que si vous me dénoncez, je dirai que vous êtes venu, vous aussi, vous promener avec moi… pour vous confesser…
Le Polonais ne se confessa pas, mais « oublia » l’incident.
*
— Avec les Frères Franciscains, avec
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