Les sorciers du ciel
confiance que tu me manifestes. »
*
L’abbé Gérald Amyot d’Inville (131) en arrivant à Dora se déclare menuisier. Il est aussitôt affecté au block des charpentiers où il rencontre un déporté de Senlis qui, deux jours plus tard, lui présente l’abbé Renard.
— Pâques (132) approche. Il voudrait de belles Pâques… Le bruit se répand que le menuisier Amyot est prêtre et demande que l’on prépare cette fête. De paillasse en paillasse, le soir, Gérald se glisse près de ceux qui se font connaître et, dans un chuchotement plus ou moins prolongé, confesse et absout… M. Bonamy, dans un colis heureusement pas trop pillé, reçoit des œufs tassés dans de la farine. Frère Birin, de son côté, a trouvé des raisins de Corinthe dans un envoi. Et les amis de Gérald, les Hutin de la Croix-sur-Meuse, auront également la bonne idée de lui en adresser. Gérald est transporté de joie… Il se souvient de M gr d’Herbigny, décrivant au grand séminaire les messes clandestines en Russie, précisément avec du jus de raisin de Corinthe. Il a du raisin et va pouvoir offrir le Saint-Sacrifice !
— Le jour choisi est le 28 mai, fête de la Pentecôte. Rien ne manquera : pas même la discussion de liturgie que va trancher sagement un des bagnards, comte de Dreux-Brézé, chevalier de Malte et du Saint-Sépulcre. Gérald fait gonfler les grains de raisin pour en presser le jus. Un gobelet d’étain servira de calice, un mouchoir de nappe et de corporal. Pour missel, on trouve un livre de « prières du prisonnier » qui, on ne sait comment, a échappé aux fouilles… L’abbé se dirige avec Dreux-Brézé, son servant, vers une baraque en construction et provisoirement abandonnée. Semblant bavarder, ils récitent le Veni Creator. Tantôt debout, tantôt assis sur un tas de planches, on dirait deux compères poursuivant une passionnante conversation alors que la messe se célèbre. Le Christ descend à la voix de Gérald et la réserve d’hosties consacrées (133) prend place dans un petit sac confectionné dans un morceau de chemise kaki. Personne ne les a dérangés, personne n’a dû même les remarquer. Une telle réussite enhardit Gérald. Il décide que le dimanche suivant, celui de la Trinité, il célébrera la messe de nouveau… Pendant le rassemblement, frère Birin qui parle allemand sera de guet tout en faisant semblant de traduire du courrier ou de donner lecture d’un journal. L’alibi est efficace. Une autre fois, ce sera au bord d’un bois. À tour de rôle, les assistants ont l’air de se chauffer au soleil : ils veillent.
*
— Profession ?
— Instituteur !
Alfred Untereiner, frère des Écoles chrétiennes (134) (frère Birin en religion) subit le sort commun des « habitants » de Dora :
— J’ai (135) fait du terrassement, j’ai poussé le wagonnet, porté le rail et le sac de ciment, coulé du béton. Je souffrais terriblement des yeux, surtout de l’œil gauche brûlé par une pelletée de ciment qu’un Kapo m’avait lancée en pleine figure. De plus, j’eus un doigt malade et le poignet enflé à l’excès, par les efforts qu’il fallait fournir pour bétonner. Le ciment était, en effet, entièrement mélangé à la main. Miné ainsi par une fatigue excessive, hanté par la mort et le spectre du four crématoire, mes forces déclinaient journellement. C’est dans ces circonstances qu’un soir, après l’appel, la radio demanda des schreiber (secrétaires) et des kaufleute (commerçants). Ceux-ci devaient se présenter à l’arbeitsstatistik. J’eus un moment d’hésitation, la méfiance était de rigueur. Je risquais de plus, d’encourir les foudres de mon Kapo, s’il apprenait ma démarche.
— Arrivé à l’arbeitsstatistik, je fus reçu par le S.S. entouré de plusieurs employés de bureau. On me demanda ma profession. « Instituteur » dis-je. Le S.S. jeta un coup d’œil sur le numéro de ma veste, sur mon triangle et ajouta : « Mais tu es un fumier de Français ! » puis me demanda mon lieu de naissance. « Ah ! me dit-il, tu es encore un de ces cochons de Lorrains qui n’ont jamais voulu opter pour l’Allemagne, c’est sans doute la raison pour laquelle tu es en camp de concentration. » Cependant, le Kapo ayant besoin d’un interprète insista et l’on prit mon numéro. Je rentrais à mon block. Tard dans la nuit, le chef appela mon numéro et me remit un billet stipulant que je
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