Les sorciers du ciel
tint tranquille. Il arriva à Dora fin septembre 1944 et prit facilement contact avec les S.S., ceux-ci circulant presque toute la journée dans le camp. Par l’intermédiaire d’un de ces derniers, il adressa au commandant du camp une lettre : « J’ai été en France Oberleutnant à la Gestapo. Ayant toujours le même idéal, c’est-à-dire servir l’Allemagne, car je suis convaincu que mon incarcération est une erreur judiciaire, je me mets entièrement à votre disposition pour dépister dans le camp ce qui serait d’action anti-allemande. Je serais même heureux de m’engager dans les S.S. » – Le commandant le fit venir et lui fit comprendre que cela n’était pas de son ressort, mais de celui de la Sicherheits-Polizeidienst (police secrète). Il lui fixa un rendez-vous avec l’Oberscharführer Sanders. Celui-ci félicita Maurice, mais ajouta qu’il lui fallait des preuves de sa sincérité. – « Nous soupçonnons, dit-il, qu’il existe en ce moment, dans le camp, une organisation russe de révolte, et nous nous demandons s’il n’y a rien de pareil chez les Français, nous vous chargeons donc de nous indiquer les détenus français qui feraient partie de cette organisation et, afin de vous faciliter la circulation dans le camp, vous serez nommé « Kapo » à partir de ce jour. »
— Grâce au poste que j’occupais, je fus mis directement au courant de cette démarche, mais il était déjà trop tard. Des camarades que j’avais « planqués », auxquels j’avais trouvé des Kommandos plus faciles, ou que j’avais soustraits aux Kommandos d’extermination, ignorant le double jeu de cet individu, avaient parlé. Maurice, ainsi renseigné, vint me voir à plusieurs reprises, me félicita de ce que je faisais pour les camarades français et me demanda ma manière d’opérer. Je fis l’étonné et je niai. Il revint le surlendemain. – « Je te félicite, me dit-il, tu n’as pas besoin de nier, tous nos camarades parlent de toi avec éloge, et, d’ailleurs, c’est si naturel que, dans cette profonde misère, nous nous entraidions. De mon côté, je veux faire tout mon possible pour rendre service, mais, dis-moi, que puis-je faire ? » – Je ne répondis point… et je dormis mal.
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Dès le départ pour Wieda de l’abbé Amyot, l’abbé Robert Plotton, nouvel arrivé à Dora, décide de célébrer la messe :
— Nous nous (141) installions à même le sol, tandis que l’un de nous se chargeait de faire le guet. Pour nous avertir il ne criait pas « vingt-deux », suivant l’argot des casernes, car la signification spéciale de ce chiffre était connue des étrangers. Nous lui avions donc substitué le terme « Belotte ». Sur la serviette qui remplaçait le corporal, je plaçais mon quart en guise de calice. Les hosties, à peine plus grosses que des confetti, étaient déposées dans une de ces boîtes métalliques que nous fabriquions à la dérobée, pour notre usage personnel. Certaines avaient une réelle valeur artistique. Et sans autre vêtement que ma livrée de bagnard, symbole de tant de souffrance, je célébrais la sainte messe, récitant les prières en français, sauf la formule consécratoire qui doit être prononcée dans la langue rituelle de l’Église.
— Faute de raisins (142) , il fallut, pendant quelques mois, interrompre la messe. La dernière de « ce temps-là » fut célébrée un dimanche après-midi, au début d’août 1944. L’église était le camp même ; la voûte : un ciel idéalement bleu ; la nef : la pente de la colline vers le block 140 ; les reliques : un prêtre dont le genou droit servait de table ; le corporal : un bout de chiffon lavé tant bien que mal et encore gris ; le calice : une boîte à sardines minutieusement nettoyée. Un chevalier du Saint-Sépulcre : Georges assistait le célébrant ; l’abbé officiait assis. Étendus, comme s’ils profitaient amplement du soleil, Pierre, Roger, et quelques autres, huit en tout, prenaient part à l’Offrande Sacrée. Au Pater, un inconnu qui dévalait à travers les taillis, fit un magnifique saut par-dessus le « tombeau-vivant » et poursuivit sa route. À la communion, les hosties passèrent de main en main. Aucun oiseau ne gazouillait, le nouveau four crématoire, inauguré la veille, lançait ses volutes de fumée dans l’azur.
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Jean Ficheux, un jeune séminariste, prépara au baptême plusieurs
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