Les sorciers du ciel
je trouvais suffisamment de foi en moi, à cette époque, pour pouvoir envisager cette hypothèse sans faiblir, tant étaient grandes mes convictions. Un peu plus tard j’ai rencontré un « prêtre », je lui ai remis ce précieux gage. Je dois d’ailleurs à la vérité de dire que je l’ai confié à un déporté français du nom de Meresse qui, pendant tout son séjour à Dora, s’est fait passer pour un prêtre… La supercherie n’a été découverte qu’après notre retour en France…
— Meresse (126) était un être bizarre, une sorte d’aventurier ; ancien séminariste, déporté résistant, il avait paraît-il témoigné d’un certain courage pendant la résistance. Au camp de Dora, il fut sublime. Il se « refit » prêtre lui-même. Il dit qu’il était curé de la Nièvre. Alors il confessa, donna l’absolution, la communion et paya tellement de sa personne, prodigua tant de paroles apaisantes, fit preuve de tant de dévouement, qu’auréolé de gloire, il eut un nombre incroyable d’amis. Il avait tellement bien joué son rôle qu’il « s’était cru » réellement prêtre et, lorsque nous fûmes libérés, il se vêtit d’une soutane et alla mendigoter pour subsister dans les villages de la Nièvre, jusqu’à ce que l’évêché s’en aperçoive et mette fin à ce comportement.
Meresse a disparu. Je n’ai pu le retrouver.
À Dora il réduisit ses activités religieuses et s’effaça même totalement, lorsqu’en février et mars 1944 arrivèrent l’abbé Jean-Paul Renard, le frère Alfred Birin et l’abbé Gérald Amyot d’Inville.
*
L’abbé Jean-Paul Renard, premier « aumônier » de Dora, franchit le porche du tunnel le 16 février :
— Hommes (127) qui luttent pour vivre dans une atmosphère viciée, incorrectement renouvelée, où se mélangent, sans souci de santé ou d’hygiène, la puanteur des cadavres en décomposition (enlevés tous les deux ou trois jours), l’odeur des tinettes, les émanations de soufre et de salpêtre des explosions de mines, l’air comprimé des marteaux piqueurs et des perforatrices, la poussière de roche en suspension, les gaz des moteurs Diesel, la fumée des machines à vapeur des trains faisant leurs manœuvres à 9 et 21 heures. Pour être complet, il ne faut pas manquer d’ajouter le froid, la faim, le manque de sommeil, les fouilles, la brutalité, le vol, les désinfections, l’impossibilité d’avoir « sa place », la nécessité de ne pas se retrouver à heure fixe au même endroit, avec les mêmes compagnons de misère et, couronnement de tout, le travail forcé sous la menace perpétuelle de mort. En vérité, le néophyte était un peu ahuri au premier abord…
Le soir même, Jean-Paul Renard retrouve des amis de Compiègne ou de Buchenwald :
— J’ai le Saint-Sacrement sur moi, mais que l’on soit discret.
Premières confessions à l’entrée du tunnel :
— C’est toi Jean-Paul ?
— Oui.
— Je veux me confesser.
— Demande pardon de toutes tes fautes, je te donne l’absolution.
Un signe de croix invisible est tracé sous la veste.
— Veux-tu communier ?
— Oui, mais je viens de manger.
— Comme je ne sais pas quand nous pourrons nous retrouver, je vais quand même te donner le bon Dieu tout de suite.
L’abbé Renard se découvre :
— La Sainte-Communion se donnait dans un geste évoquant les premiers temps du christianisme : une parcelle d’hostie tenue par le prêtre entre le pouce et l’index, était prise par le pouce et l’index du fidèle qui la portait ensuite discrètement à sa bouche après avoir, d’un regard, fait un tour d’horizon. Les doigts se purifiaient avec un peu de salive dont on les humectait et qu’on laissait évaporer. Pour un spectateur même attentif, il n’y avait là qu’un échange de poignée de main ; pour les chrétiens cette poignée de main était pleine d’« infini ».
L’abbé Renard demande asile à Pol (Hippolyte) :
— Ce dernier (128) était « vorarbeiter » d’un Kommando de spécialistes des installations de tuyaux d’aération et avait la bonne fortune d’occuper un « coin de Kapo » avec deux autres Français. D’autre part, il faisait heureuse exception, par son excellente camaraderie, dans cette fonction de « vorarbeiter » où pullulaient les bandits. Pol offrit donc le quatrième lit de son « domicile » à Jean-Paul. Grâce à lui le tabernacle du tunnel
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