Les sorciers du ciel
rampe.
— Reste couché !
Le S.S. se penche, arrache le rosaire de l’abbé Seitz…
— Debout sorcier du ciel ; tu vas te faire une couronne avec ton gri-gri. Je veux que la croix se balance sur ton nez.
Coups.
La porte du camp s’ouvre.
— Regardez bien, ce salaud de curé…
Le 6 janvier 1940, l’abbé Fritz Seitz, du diocèse de Spire, premier prêtre allemand à franchir les barbelés de Dachau, fait une entrée remarquée dans le camp :
— Allons marche. Nous n’avons pas terminé. Je veux que tout le monde te voie.
Le S.S. crie :
— Regardez ! Regardez ! Voici le premier salaud de curé du Reich !
— Vide tes poches !… Très bien… Voici ce que je fais de ton livre de recettes magiques…
Le bréviaire roule dans la neige : deux images glissent des pages… Le Pape Pie XII et la Vierge.
— Nous enfermerons après la guerre cet « Oberpfaff (curé suprême) romain, avec tous ses curaillons et le charlatanisme aura vécu pour toujours.
Il crache sur le portrait avant de le déchirer.
— Et celle-là, regardez-la… une vierge…
L’abbé Seitz n’entend plus… Il s’est évanoui.
*
Fritz Seitz avait été précédé à Dachau par une dizaine de prêtres polonais et autrichiens. Tous les Polonais « disparurent » avant l’arrivée de l’abbé Seitz.
La chronique du camp n’a pas retenu le nom du premier mort. On connaît par contre celui de son assassin :
— Deux (179) grands tonneaux pleins d’eau se trouvaient devant l’entrée du block des cuisines. L’adjudant S.S. Welter choisit parmi les hommes de corvée un Juif et un prêtre catholique. Il voulait les obliger à blasphémer. Tous deux refusèrent d’injurier Dieu. L’adjudant les frappa, leur cracha au visage et enfin immergea leur tête alternativement dans l’un des tonneaux jusqu’à ce qu’ils soient morts.
Le camp de Dachau, inauguré au printemps 1933, destiné à la rééducation des « têtes fortes », vit défiler avant la guerre : socialistes, communistes, monarchistes bavarois, juifs, nazis dissidents et ennemis personnels des chefs du nouveau régime triomphant.
L’archiprêtre de la petite ville de Dachau, l’abbé Pfanzelt, considéra le camp comme un quartier de sa paroisse. Il était énergique, entêté. Après un an de démarches il fut autorisé à célébrer la messe dans un coin de block. Les nationaux-socialistes n’en étaient qu’aux premiers jours de leur règne de « Mille ans » : ils désiraient, en « attendant », maintenir des relations « amicales » avec les Églises pour des raisons évidentes de stratégie politique.
L’abbé Pfanzelt est accueilli à la première barrière par un sous-officier souriant :
— Je vais porter votre valise !
— Non merci !
La place d’appel est déserte.
— Vous attendez là.
Le sous-officier disparaît. L’abbé pose la valise-chapelle. Un grésillement… Les haut-parleurs viennent d’être branchés… Une voix hurle :
— Viens donc Bohémien noir et joue-nous quelque chose.
— Allons courage ! Si tu ne veux pas jouer, viens chanter. Je suis sûr que tu as une belle voix.
L’abbé Pfanzelt reprend sa valise et se dirige vers les bâtiments S.S. Un officier le reçoit.
— Ne nous en voulez pas. Le « speaker » est un fou… C’est un prisonnier !
L’archiprêtre de Dachau célébra la messe devant cent soixante déportés. En trois ans, il fut autorisé à revenir cinq fois. Le « speaker fou » ne varia guère dans ses plaisanteries. Le dimanche de Pentecôte 1937, les haut-parleurs restèrent muets. Le S.S. qui l’accompagnait le conduisit directement dans le bureau du commandant :
— Nous aurions dû vous faire prévenir. Vous vous êtes dérangé pour rien. Personne ne veut assister à votre Sainte Messe.
— Mais comment ? J’ai eu jusqu’à deux cents fidèles…
— Des fidèles ! Non monsieur l’abbé, des criminels… Ils venaient pour passer le temps et comme nous n’aimons pas les passe-temps, nous avons mis fin à ce passe-temps. Nous allons vous faire raccompagner en voiture. Vous ne reviendrez jamais au camp.
— Mais j’ai l’autorisation de dire la messe aujourd’hui.
— Si vous voulez !
— Les haut-parleurs peuvent annoncer que je suis là…
— Les haut-parleurs sont en panne.
— Je vais prévenir moi-même les prisonniers.
— C’est inutile. Ils sont au
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