Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
vais me renseigner tandis que vous rangerez ces Victor Hugo.
    Il étudia les rayonnages, en tira un bouquin et consulta la table des matières.
    — Ah ! voilà : Mathusalem est né le huitième jour du mois, affirme-t-on sans notifier de quel mois il s’agit. Ce jour est favorable aux voyages et mauvais pour ceux dont la santé décline. Les rêves qui troubleront votre sommeil se réaliseront. Satisfait ?
    — Oui, ça me fournit un indice, merci, bougonna Joseph. Et aigue , ça veut dire quoi, aigue  ?
    — Vous me fatiguez. Aigue est un mot français du Moyen Âge, tombé en désuétude de nos jours, cela signifie « eau ».
    — Ah oui, Aigues-Mortes !
    Kenji lui décocha un sourire béat.
    — Ah ! Aigues-Mortes, le sud de la France, l’année 86 ! J’ai séjourné à Aigues-Mortes en allant expertiser la bibliothèque d’un notable du Var, voyons, il habitait… La Moutonne, oui, c’était le nom du patelin, La Moutonne… Vous m’écoutez, Joseph ?
    — J’ai assez de mes souvenirs sans m’encombrer de ceux des autres ! Je retourne en bas, faut que je brique, c’est plein de moutons.
    Kenji soupira et ferma les yeux. 1886, quarante-sept ans, la force de l’âge, l’âge des conquêtes. Il se surprit à conjuguer en lui les silhouettes de Fifi Bas-Rhin, de Mlle Mirande et de Djina jusqu’à dessiner la femme idéale.
     
    Accoudé au parapet du quai de l’Hôtel-de-Ville, Amadeus regardait s’amarrer de gros bateaux plats chargés de pierres, de pommes ou de sable. La femme qu’il attendait se faufila derrière lui et secoua son catogan. Il fit volte-face, elle lui tira la langue et éclata de rire.
    — Monsieur Amadeus, je vous ai pulvérisé au piquet, je vous dois une compensation. Un chocolat chaud fera l’affaire, dans un endroit calme où vous pourrez m’inculquer les règles du jeu de l’impériale.
    — Chère demoiselle, les cartes semblent être chez vous une passion. Jouez-vous pour le plaisir ou pour le gain ?
    — Les deux.
    — On m’a conté que les oiseaux et la préparation des confitures occupaient vos loisirs.
    « On a omis de mentionner les hommes », pensa Chantal Darson que les manières surannées d’Amadeus ne laissaient pas insensible.
    Ils montèrent la rue des Barres. Près de l’église Saint-Gervais, un confiseur avait aligné ses alambics et ses bassines de cuivre. Ils le dépassèrent sans remarquer Ferdinand Pitel, courbé au-dessus des fourneaux allumés entre les piliers noircis.
    À bonne distance du couple, le cordonnier s’engagea dans l’étroite rue du Grenier-sur-l’Eau. Deux rangées de maisons délabrées dominaient cette fissure propice aux bourrasques.
    Amadeus et sa compagne atteignirent la rue François-Miron, longèrent une blanchisserie et une entreprise de déménagement, poursuivirent leur marche silencieuse jusqu’à l’église Saint-Paul. Le passage Charlemagne abritait des tribus de rempailleurs de chaises et des marchands de lait. Des fleuristes bravaient le froid, groupées autour des vestiges de la demeure du prévôt de Charles V.
    Un minuscule troquet, abreuvoir à souris plutôt qu’à humains, engloutit le duo qui se casa sous une croisée aux carreaux bosselés. Des tasses fumantes furent presque aussitôt déposées devant eux.
    Du recoin d’où il les guettait, Ferdinand Pitel discernait mal les détails. Le ciel plombé, les vitres embuées, la discrétion à respecter afin de garder l’anonymat ne facilitaient en rien sa surveillance. Il devinait les minauderies de Chantal Darson, les gestes élégants de son interlocuteur dont les mains fines s’agitaient, découpaient l’espace en lanières. La colère lui mordit le cœur. Il avait pisté Chantal lorsqu’elle avait quitté la boulangerie où elle travaillait, résolu à l’aborder. Il allait lui toucher l’épaule quand elle s’était élancée vers ce polichinelle. Quelle amère déconvenue ! Il se serait damné pour entendre leur conversation.
    — Je suis désolée, mademoiselle, j’ai oublié mon jeu de cartes, mais chose promise, chose due, je viendrai dimanche et nous jouerons pendant la pause du déjeuner. Vous louez bien un stand sur le marché derrière le tribunal de Commerce ?
    — Depuis sept ans.
    — Avez-vous une bonne clientèle ?
    — Je n’ai pas à me plaindre, je rencontre toutes sortes de gens, des riches, des pauvres, des jeunes, des vieux. Un peu comme vous, monsieur Amadeus. Certains adorent chinoiser

Weitere Kostenlose Bücher