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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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glissa à l’oreille Maurice Laumier, ignorant les regards courroucés de Mimi.
    Tasha étrennait une robe en drap brun à ceinture plissée et corsage court, mais s’obstinait à porter son bibi piqué de marguerites, cachant à peine son chignon roux. Une veste à la main, elle n’accordait nulle attention aux hommes dont elle suscitait l’enthousiasme et ne s’intéressait qu’aux toiles de Madeleine Lemaire.
    « Quelle finesse dans le rendu de ces roses ! Je n’ai décidément aucun talent, pourquoi continuer à peindre ? Mes portraits sont des à-peu-près, je suis incapable de génie. Et je ne tiens pas salon ainsi que cette dame, moi ! »
    Victor prétexta le désir de griller une cigarette pour gagner la rue et se sentir à l’abri des volailles. Isidore Gouvier l’avait précédé, ils échangèrent une poignée de main trahissant un courant de compréhension mutuelle.
    — Vous prisez ces croûtes ?
    — Au diable, ça me canule ! Que devenez-vous, monsieur le libraire détective ?
    — Eh bien justement, j’enquête. À propos, vous pourriez peut-être m’aider.
    — Oh ! moi, je ne m’occupe plus de crimes, sinon de ceux perpétrés contre l’art, ronchonna le journaliste en fourrageant sa barbe.
    — Supposons que je vous en prie à titre personnel ? Vous ne feriez pas faux bond à un ami de si longue date ?
    Paumes tendues, Victor adopta l’expression séraphique d’un écolier suppliant un copain de lui prêter une gomme en souvenir d’anciennes frasques. Secoué d’un gros rire, Isidore Gouvier céda à la tentation.
    — Je suis curieux de nature. Que mijotez-vous ?
    — Rien de méchant. Il s’agit du décès brutal d’un libraire en chambre trouvé assassiné et ligoté. J’aimerais simplement savoir avec quoi le meurtrier l’a saucissonné. Les journaux ont signalé une ficelle, mais n’ont pas précisé sa couleur.
    Désappointé, le journaliste souleva son melon, taraudé par l’envie de se gratter la tête. Victime d’un coup de vent glacial il se recoiffa aussitôt.
    — Quoi ? Une telle broutille ? La couleur d’une ficelle !
    — Ce détail est essentiel, grâce à lui j’espère corroborer mes soupçons concernant d’autres crimes. En me secondant, vous éviterez que de nouveaux innocents perdent la vie.
    — Il s’appelait comment, votre libraire ?
    — J’ai oublié, mais Le Passe-partout a relaté l’affaire il y a une quinzaine de jours.
    — Bon, en ce cas, je me mets en chasse. Les archives du journal me sont ouvertes, les reporters ne recopient jamais fidèlement la description conforme des rapports de police. Si je dégote quoi que ce soit, je vous téléphone à la librairie.
    — Plutôt à mon domicile et…
    Victor s’assura que Tasha était bien dans la galerie.
    — Pas un mot à mon épouse !
     
    Augustin Valmy se curait les ongles avec application. À peine s’il jeta un coup d’œil à la femme que le planton poussait vers son bureau. Son embonpoint et sa mise négligée la vieillissaient, mais elle n’avait guère plus de trente-cinq ans. Elle manifestait l’anxiété de l’inculpé redoutant la sentence du tribunal. Fascinée par les mains du policier, elle résistait à un furieux besoin de se ronger l’index quand une voix cassante ordonna :
    — Asseyez-vous donc, madame Fouin.
    Elle obtempéra, cantonnée au bord de la chaise comme pour la quitter plus vite.
    — Frouin, je vous ferai dire, Votre Excellence. Angélique Frouin.
    — Monsieur le commissaire suffira. Angélique ? Ce prénom vous sied à merveille.
    — Excusez, Votre Excellen… inspecteur, quand on me l’a donné j’étais un charmant bébé et ma mère…
    — Serait tombée des nues si on lui avait prédit votre avenir.
    — Épargnez ma pauvre maman, martela Angélique Frouin, soudain combative. Et puis d’abord, qu’est-ce que vous avez à débagouler ces inepties contre moi ?
    — Des ballons, madame Fouin. Trois ballons jaunes estampillés Dufayel , vos collègues cardeuses attestent que vous les destiniez à vos enfants.
    — Ben oui, c’était prévu, mais on me les a volés.
    — Quelle coïncidence ! On a retrouvé hier matin dans le bois de Boulogne trois ballons jaunes en piteux état portant la marque bien connue d’un marchand de meubles, j’en ai récemment été averti. Ils étaient attachés à une tête. Oui, vous avez parfaitement entendu, une tête tranchée, madame Fouin. Une lettre

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