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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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châssis à deux roues sur lequel elle charriait son métier à carder. La pendule pneumatique marquait huit heures trente. Enfin apparut une gamine aux couettes jaunes, un bébé dans les bras, accompagnée d’un mioche de sept, huit ans, les chaussettes en tire-bouchon. De toute évidence ils avaient l’intention de faire l’école buissonnière car ils ne se mêlèrent pas au troupeau, ardoise en bandoulière, qui se dirigeait vers le temple du savoir. Les souliers bruns envoyèrent dinguer un trognon de pomme. S’assurer qu’ils vadrouilleraient un certain laps de temps.
    Au débouché de la rue d’Ulm, les enfants furent abordés par un mendiant au visage émacié, aux yeux exorbités, qui fonça sur la fillette en braillant :
    — Qu’est-ce que tu lui veux à Saturnin la Chouette ? Encore une femelle qui trouve que j’ai les yeux trop ronds, punaise !
    — Phonsine, n’t’en laisse pas conter par ce toqué ! cria son frère.
    — Fiche-nous la paix, espèce de hibou, sinon j’appelle les cognes ! répliqua la fillette. Félicien, on se carapate !
    Furieux, le mendiant brandit un poing menaçant.
    — Caltez, sales morveux ou j’vous étrille !
    Raser les murs afin d’éviter sa vindicte exigeait souplesse et rapidité. Les souliers bruns étaient rompus à ce genre d’exercice. Ils redoublèrent l’allure. Le trio baguenaudait rue Saint-Jacques, en extase devant un de ces baveux 1 qui désignait un écriteau où était apposée cette injonction :
    Ne vous mariez pas sans avoir consulté
    le Baromètre de l’amour !
    Cinq centimes seulement.
    Un boîtier similaire à un appareil photographique trônait sur un escabeau. Les badauds sceptiques étaient encouragés à se planter face à une série de manettes puis à se tenir sous un drap, tandis qu’une prétendue radiographie de leur crâne dévoilait leur avenir matrimonial. Un rayon bleu signifiait le contentement, un vert l’incertitude, un rouge le danger absolu.
    Une commère hilare accepta de se soumettre au test. Phonsine et Félicien se faufilèrent au premier rang de l’attroupement.
    Ni une ni deux, les souliers bruns galopèrent en sens inverse. Ils se coulèrent sous le porche, émergèrent dans une cour et s’approchèrent d’une fenêtre. La partie la plus difficile restait à jouer. Par bonheur, la vitre n’avait pas été remplacée. La délivrer du journal qui l’obturait ne posa aucun problème. Quelle cache adéquate choisir ? Un placard de cuisine ? Un cagibi à balais ? Le sommet d’une armoire ?
    Non, l’endroit idéal était le plus flagrant, celui où les retraités camouflent leurs économies et les cocottes leurs bijoux : sous le matelas. Celui-ci était si épais et si spacieux qu’il dissimulerait un paroir sans que les dormeurs le remarquent.
    La fenêtre franchie en sens inverse, il était impératif de remettre en place le journal.
    Vite, regagner le porche.
     
    Kenji trompait sa lassitude en vidant de leur contenu des cartons bourrés de commandes. Il humait l’odeur du papier neuf et l’idée que ces ouvrages, bons ou mauvais, étaient constitués d’une suite de mots uniques au monde l’étonnait toujours.
    « En apparence, rien de plus semblable à un livre qu’un autre livre. Pourtant, chacun diffère par la manière dont il est conté même si les trames se ressemblent. »
    Les titres à eux seuls étaient une invitation aux chimères. Chansons de Bilitis , de Pierre Louÿs, Cyrano de Bergerac , d’Edmond Rostand, Un client sérieux , de Georges Courteline, Le Voleur , de Georges Darien.
    Quand il eut fini de disposer en piles ces parutions, tant dans la librairie qu’en vitrine, il retourna s’asseoir sans enthousiasme au bureau où il préparait son catalogue de printemps. Il constata que la peinture des murs s’écaillait et repoussa de nouveau fermement le projet de rénover le décor. La vieillesse s’insinuait en lui, responsable de douleurs inédites et d’un incontestable manque d’entrain dès qu’il était question de travaux tels que : réfection de la boutique et de l’appartement, modernisation des systèmes d’éclairage et de chauffage, ravalement de la façade. Il déplorait qu’un génie tout-puissant ne se charge pas d’exécuter ces besognes, ou qu’au moins Victor et Joseph, qui étaient encore jeunes, eux, ne proposent jamais de diriger cette remise à neuf pendant que Djina et lui visiteraient Venise. Mais Victor était une fois de plus

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