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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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leurs semblables, selon le degré de cupidité qui les avait enrichis, des sentiments éloignés de ceux des croyants ordinaires. À trop agir par lucre, certains avaient dû adopter une fausse image de leur personne. Sans le savoir expressément, ils venaient se repentir devant la Croix, se replier sur leurs obscurs méfaits et sur eux-mêmes dans le déconfort de leurs petites misères d’individus investis d’une foi qui s’épuisait dès la première prière. Point de macérations, point de pénitences car la plupart évitaient la petite geôle du confessionnal. Pour annihiler les passions franches ou secrètes des hommes, il eût fallu que Guesclin les prît une semaine dans ses herpailles et leur fît connaître son joug. Quant aux femmes, encore que des rumeurs fussent nées depuis longtemps sur les libertés en usage dans les moutiers, il eût fallu qu’elles y séjournassent loin des ordinaires tentations de la chair et de l’or. Ainsi peut-être, pour un temps, la balance de la vie d’une société composée de privilégiés et d’indigents se fût trouvée en équilibre. Peut-être, parmi ces croyants dont Belpech faisait partie et pour lesquels la fréquentation de l’église était garante d’une honnêteté sans faille, certains songeaient-ils à leurs aïeux. Patarins comme le gros de la population de la Langue d’Oc, ils avaient eu la vie belle puisque si les Parfaits se magnifiaient de sainteté, la licence affaiblissait leurs ouailles.
    « Puis Montfort est venu, le très chrétien Montfort… Lui au moins, à l’inverse du Breton, il s’offrait trois messes par jour. L’autre se satisfait de trois soupes au vin. »
    Tristan dépassa le seuil de l’église.
    « Et moi, que suis-je ?… Un homme de bien ? Non !… Un homme aux pensées de plus en plus lourdes et fastidieuses et cependant un fétu emporté par je ne sais quel vent de Dieu… Moi qui ne suis ni riche ni pauvre… »
    Il se retourna.
    « Tiens, le voilà ! »
    Belpech sortait de la Bonne Truite en séchant ses lèvres de son avant-bras.
    « Il est allé faire descendre son hostie ! »
    Tristan talonna doucement Alcazar.
    – Ho ! Messire… Je voudrais…
    Belpech l’avait sûrement entendu. Était-il si pressé de prendre son cheval ? Il entrait sans se retourner dans la cour de l’auberge.
    Tristan n’osa réitérer son appel.
    « Encore un qui me doit détester ! »
    Eh bien, s’il en était ainsi, tant mieux !
    *
    – Tu vas rarement à Limoux, lui dit Maguelonne alors qu’il dessellait Alcazar. Chaque fois que tu en reviens, tu es triste.
    Tristan ne s’en défendit pas.
    – Le petit ? demanda-t-il simplement.
    – Hélie a toussé. Il faut nous décider à faire venir un mire.
    Or, une année passa, pareille aux autres. Une année où Tristan s’interdit le chemin de Limoux, ce qui inquiéta non seulement son épouse, mais aussi Paindorge, Lebaudy et sans doute leurs femmes. Ni ses compères ni Maguelonne n’osèrent le questionner sur ce renoncement. À vrai dire, il n’en connaissait guère la raison. La solitude toute relative où il s’engloutissait lui était douce.
    L’année 1378 s’acheva sous la neige. On apprit, à Castelreng, que le roi Charles avait accusé Jean IV de Montfort de trahison 245 . Son duché lui avait été confisqué. Le Parlement avait prononcé la réunion de la Bretagne à la Couronne 246 . Les Bretons s’étaient aussitôt rebellés. Un gouvernement séditieux allait être formé 247 . Afin d’assagir les rebelles, on leur avait envoyé Guesclin accompagné d’un médiateur « plus breton que le connétable ne l’était » : Olivier de Clisson, lui-même costié de son tranche-tête, Josselin. Deux seigneurs de haute renommée s’étaient joints aux maîtres de la répression : le sire de Laval et le vicomte de Rohan. À cœur joie, ils maniaient la lance, la hache et l’épée. Si l’affreuse guerre contre les Goddons semblait s’accalmir, la Bretagne était ensanglantée par une autre plus terrible. Guesclin y meshaignait ceux de sa race avec autant de rigueur que les Anglais et les Espagnols. Et cette guerre hideuse durait.
    Aux soupers souvent pris en commun, les commentaires chuchotés par Paindorge et Lebaudy accompagnaient les songeries de Tristan.
    – Je croyais que la retraite des Goddons réjouirait le pays tout entier, dit-il un soir de printemps, alors qu’autour de lui ses familiers quittaient la table. Je me suis réjoui

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