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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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garçons ou des hommes qui, souvent aux veillées, imaginaient ou décrivaient des batailles. Prenait-il conscience que son asthme, à certains moments, le rendait faible et vulnérable ? Il ne le semblait pas. Envers les inconnus de Limoux, Chalabre, Bouriège ou ailleurs, il s’imposait une attitude froide. Comme il se confiait moins, Maguelonne devenait plus loquace mais ne le mignotait point. Quand Paindorge lui offrit une chienne noire à peine sevrée – Lérida -, il s’occupa d’elle avec un intérêt doublé d’une gravité que Tristan eût aimé trouver dans les façons de Girauldon d’Alaigne. Sa pureté était si sévère qu’il ne supportait aucune allusion à la vie amoureuse. Il feignait d’être indifférent à certains propos des enfants et des adultes et taisait toute repartie prouvant qu’il avait compris. Cette pudeur ne ressortissait pas à une sorte de peur des choses de la chair ; elle était l’expression d’une austérité dont Tristan craignait parfois qu’elle ne fût d’espèce ecclésiastique. Or, Hélie priait peu. Il lui advenait de simuler des orémus. Il sortait toujours joyeux de la chapelle toujours vide de chapelain.
    – Je serai chevalier, disait-il quelquefois sans la moindre outrecuidance.
    Et plus les jours passaient, plus il s’inquiétait des batailles qui, çà et là, déchiraient la France tout en la reconstituant.
    – L’esprit du Bien est en toi, lui disait Paindorge. Ta malefaim de vie et de bonheur me plaît. Tu seras chevalier, mes fils Tristan et Yvain tes écuyers. Ne crains rien : tes poumons sont aussi parfaits que ton âme.
    « Des mots ! » se répétait Tristan. « Mais c’est son droit de nous rassurer. »
    Semblable en cela au souffle de son fils, il sentait fréquemment sa vie se restreindre et s’engourdir en même temps que ses membres. Tout autant sinon plus que son cœur incrédule, il se demandait : « Ai-je obtenu ce que je méritais ? » Il y avait entre les arbres, les maisons et les êtres d’invisibles fils tendus dans lesquels il s’empêtrait et qui, peu à peu enchevêtrés, s’embobelinaient autour de lui comme des toiles d’araignes. Il ne savait comment se guérir d’une mélancolie sans objet, sans fin et sans fond. Il semblait qu’il portait en lui le mal des autres et la gaieté de certains le courrouçait comme une offense. Il savait qu’il renverrait un jour ce mal et ce courroux avec une force accrue, à la façon d’un miroir tragique. Il redoutait ce moment-là. Ses scrupules à vouloir le bien de son épouse, de son fils et de tous ceux qui l’entouraient lui paraissaient d’autant plus inutiles qu’il se sentait irrésistiblement porté par une fatalité qui ne se pouvait combattre par des armes. Ses nuits n’étaient plus des nuits et ses jours se teintaient de sombre. Sa capacité ou sa disposition aux songes, si foncièrement naturelle, se raréfiait. L’ordre de succession des travaux et des loisirs s’était installé à Castelreng. Il y apprenait qu’il pouvait vivre sans inquiétude, sereinement, sans passion, sans bonheur. Il craignait parfois d’entrer dans une pièce vide de toute présence humaine parce qu’il pouvait lire dans la mémoire des pierres aussi bien son passé que son avenir.
    Il apprit sans plaisir – et cela l’ébahit – le trépas de Henri de Castille, le meurtrier de Pèdre 251 , et l’avènement de son fils Jean. Il se désintéressa des rumeurs suscitées par la guerre des papes 252 , même si Jeanne de Naples semblait la première à en faire les frais.
    – Je préfère les chants des merles et des rossignols aux rumeurs du marché de Limoux.
    On savait, jusqu’au fond de la Langue d’Oc, que Charles V avait fait venir à Paris les grands seigneurs de Bretagne pour leur signifier de lui livrer leurs places – ce qu’ils avaient refusé. Le duc de Bourbon, le comte Louis de Sancerre, maréchal de France, Jean de Vienne, amiral de France, Bureau de La Rivière, premier chambellan, et plusieurs autres chevaliers avaient été désignés pour soumettre les Bretons turbulents. Sitôt les premières saignées, le vicomte de Rohan avait fait défaut, puis Jeanne de Penthièvre qui, montrant une audace peu commune, avait accueilli Jean IV de Montfort à Dinard La Flandre à son tour s’était détachée du roi : avant d’aller chercher un bref refuge en Angleterre, le duc Jean IV de Bretagne avait été accueilli par Louis de Male, comte de

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