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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Flandre.
    Et la guerre, soudain, s’approcha de la Langue d’Oc. Lâchant la bride au plus rapace de ses frères, le duc d’Anjou, Charles V avait exigé, dans tout le Midi, des levées d’aides excessives. Le mardi 25 octobre 253 , les gens de Montpellier s’étaient révoltés 254 . On racontait que le frère du roi avait fait trancher deux cents têtes, étrangler deux cents cous, et brûler deux cents corps. La cité avait flambé presque tout entière.
    – Cet Anjou est un monstre et sous son aspect cauteleux, son ains-né frère aussi, commenta Tristan le matin où Paindorge, retour du marché de Limoux, lui eut appris ces nouvelles. Qui a commis ces six cents meurtres sans oublier ceux qui sont morts rôtis dans leurs maisons ?
    – Ne croyez pas que ce soit Guesclin, dit Paindorge… Oh ! Je sais qu’il s’y serait régalé, mais il guerroie en Auvergne contre les compagnies à la solde du roi d’Angleterre et de Lancastre.
    – Grand bien lui fasse !
    Hélie qui, assis entre les deux hommes, prenait grand plaisir à écouter leurs propos, se tourna vers son père :
    – Croyez-vous que la guerre viendra jusqu’à nous ?
    – Non, dit Paindorge. Nous n’avons rien commis que le roi puisse nous reprocher. Nous avons toujours ostoyé 255 sous la bannière aux lis. C’est ce que tu feras plus tard.
    – Robert a raison, mon gars, dit Tristan à voix basse.
    Son fils allait avoir dix ans, l’âge où l’on commence à s’exerciser soigneusement et rudement. Déjà Paindorge, Lebaudy et lui-même enseignaient aux enfants comment tenir une lame de bon acier, fournir des coups et gauchir 256 ceux de l’adversaire ; comment outrepercer un ennemi à l’épieu ou par un astucieux fendant.
    – Bientôt, dit Tristan, je t’apprendrai à faire une quintaine. Tu sauras peu à peu empoigner une lance…
    C’était au matin du lundi 2 avril 257 . Une quintaine ! Quel bonheur ! L’émoi du garçon le fit toussoter. Le toussotement devint une quinte et la quinte une suffocation.
    Tristan prit Hélie dans ses bras et l’emporta dans sa chambre.
    Une fois couché, l’enfant se contraignit à l’immobilité afin de recouvrer le souffle dense, régulier, qui brusquement lui avait fait défaut. Tristan n’osait dire un mot, accomplir un mouvement sachant qu’il ne pourrait abréger cette épreuve de la voix et du geste et que son fils, qui connaissait bien son mal, saurait le vaincre seul. Mais rien ne laissait prévoir un répit, sinon une amélioration de ses tourments. Il y avait quelque chose de court, de rafleux dans cette respiration tantôt restreinte, tantôt sibilante que venait altérer soit un râle soit un grignement d’impuissance.
    – Guéris, mon gars ! Guéris !
    Injonction vaine. Hélie, les yeux mi-clos, combattait vaillamment. Tristan, penché sur lui, se désola et se méprisa de ne savoir que faire, et d’ignorer ce que cet enfant ressentait dans la plénitude d’un corps pourtant solide et bien fait.
    Ils vivaient différemment un supplice. L’un dans son être et lui, Tristan, dans son âme. L’idéal de sa vie s’était toujours limité à quelques mots : une bonne santé, un parfait caractère, une foi profonde, l’espérance d’un bonheur accompli par le mariage avec, obligatoirement, la Chevalerie en surplomb. Cette perfection de son esprit et de sa chair se composait de sang, de sueur, de courage et de dévouements divers. Or, l’attachement qu’il vouait à son fils craquait de toutes parts : il ne savait comment le soulager de ses misères, comment l’encourager à les vaincre, comment le guérir. Il ne comprenait pas pourquoi Dieu le frappait dans la plus nécessaire de ses affections et dans sa plus noble espérance. La mort qu’il avait tant déjouée revenait à l’aguet.
    – Guéris, mon gars, dit-il d’une voix dont la faiblesse le mit en rage.
    Hélie continuait de respirer d’une haleine alternativement folle ou restreinte cependant que des sueurs glissaient sur son front et ses joues. En deux pas, Tristan fut près d’un coffre, l’ouvrit et en tira une serviette. Il la passa sur le jeune visage où une lassitude injuste apposait quelques rides.
    – Courage !… Tu vas cesser bientôt d’arateler 258  ! Veux-tu que je te lève un peu ? Crois-tu que cela te soulagerait ?
    Hélie acquiesça. Tristan l’aida doucement à s’asseoir, la nuque et le haut du dos contre l’oreiller qu’il avait remonté. Saisissant son fils

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