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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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essorés de leur nid s’en allaient à tire-d’aile.
    – S’ils se rendaient seulement ! confia le duc de Berry à Guesclin.
    Il miroitait dans son armure de grand prix rehaussée, sous le colletin, d’un double rang de penthères 308 bleues dont l’éclat l’emportait sur celui de ses yeux gros et glauques, tels ceux de son frère Charles. C’était un homme gras, aux traits mous sous la visière relevée du bassinet surhaussé d’une couronne d’or. Coup de chaleur ou dénonciation d’intempérance : la grosse bille de son nez rougeoyait autant que le soleil qui, peu à peu, abandonnait son aire. Son menton lourd, gros comme une pomme, à demi sorti du gorgerin, révélait à lui seul une assurance et sans doute un mépris de l’ennemi qui ne se justifiait pas : il était trop ménager de son corps pour l’exposer aux traits des archers et des arbalétriers de Pierre de Galard.
    Anjou survint, adoubé, scintillant et comme hésitant dans ses solerets à la poulaine. Ainsi, chancelant un peu, il semblait sur le point de s’engager nullement dans la bataille mais vers un lieu en sens inverse de Chaliers.
    – Qu’attendez-vous pour les surquérir 309  ? Qu’ils procèdent à une sortie ?
    Il eût pu, interpellant son frère, Guesclin et Sancerre, leur demander : « Qu’attendons-nous ? » Or, il s’excluait de la décision à prendre. L’ayant observé tout autant que le Breton, eu égard à sa funeste réputation, Tristan comprit que cet homme-là tenait à ce que sa valeur fût indiscutable. On eût dit qu’il s’apprêtait depuis longtemps à gouverner la France et souhaitait que les succès militaires qu’il voulait obtenir à tout prix, sans remords d’y sacrifier ses élites, se soldassent par d’épaisses rentrées d’or et d’argent. Il croyait en une sagesse dont il était dépourvu, en un sens de l’honneur qui lui faisait défaut depuis que, otage dorloté des Anglais, il avait rompu son serment pour fuir avec une épouse qui eût pu le rejoindre sans difficulté à Londres ou Calais. À y regarder de plus près, l’étroite connivence ou la complicité qui le hait à Guesclin était aussi singulière que celle qui accointait le Breton au frère d’Anjou, Charles V. En servant le duc conjointement au malade installé sur le trône de France, le connétable consolidait son avenir. La mystique du roi et d’Anjou envers leur essentiel serviteur eût pu révéler une amitié aussi serrée que celle qui avait uni leur père, Jean le Bon, au connétable Charles d’Espagne.
    – Êtes-vous prêt, Sancerre ?
    Le maréchal nu-tête avait des traits des plus communs et lui aussi, dans la peau d’un visage glabre, une mollesse qui révélait un homme mal portant. Ne s’indignait-il pas de l’empire d’un Breton qui personnifiait l’autorité des manants sur des prud’hommes titrés et couronnés ?
    – Messires, dit Guesclin moins enclin, peut-être, à batailler qu’il ne le laissait paraître, vous êtes d’excellent estoc et fier courage. J’ai, si j’ose dire, obtenu ma noblesse lors de guerres grandes et petites…
    – Hors d’icelles, chuchota Paindorge, il met au service de la France des façons de boutiquier.
    –… vous êtes la noblesse et nous l’allons prouver à ce coquin de Galard. En avant !… La France aux puissants princes !
    Les enseignes retentirent :
    –  Or avant, compagnons !
    – Au brut ! Au brut !
    – Malou ! Malou !
    – Notre-Dame, Guesclin !
    Les coiffes de fer des chefs tressautèrent un moment au-dessus des autres comme des roches étincelantes dans le flot d’un torrent. Cessant de les observer, Anjou se tourna vers deux têtes dures :
    – Qu’attendez-vous, vous et votre écuyer ?
    Tristan s’inclina sans cérémonie :
    – Eussions-nous passé nos armures, monseigneur, que vous nous verriez parmi les premiers. Or, mieux que quiconque, vous savez comment le connétable nous a invités à le suivre… Soyez-en acertené 310  : nous ferons notre devoir sitôt que nous obtiendrons, pour l’accomplir, de bons fers protecteurs et des conditions acceptables.
    – Soit !
    Anjou s’éloigna, le dos courbé : son armure inutile et ses longues poulaines exagéraient sa démarche d’ours mal léché.
    – Aucune bachelerie (431) , commenta Tristan. À Poitiers, déjà, il foirait dans ses braies. Il avait une excuse : sa jeunesse. Il n’en a plus désormais… Quant à nous, Robert, je nous impute ce

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