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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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éléments d’un trébuchet. La nuit vint. Quand l’aube se leva, l’engin était en place devant l’entrée de la forteresse vulnérable sur deux côtés, les autres prolongeant l’à pic de la montagne.
    On forma les batailles ; on prépara les échelles. La plupart des hommes s’ébaudirent à l’idée de verser le sang d’autrui.
    – Les malebêtes ! grommela Tristan. C’est surtout leur sang qui va ruisseler. On dirait que Bertrand hésite à lancer l’envaye 305 .
    – Il n’a pas hésité à vous envoyer à la malemort avec cet écuyer qui me paraît avoir plus de jactance que de raison !
    – C’est vrai. Ce Chassagne ne manque pas de courage. Quant à moi, j’ai accepté d’obéir une fois. Je n’irai pas plus loin dans cette obédience.
    Tristan se refusait à subir l’ascendant du Breton. Les sens aiguisés au sortir de dix années paisibles, il le voyait, mieux qu’au Puy, avec des yeux différents. Il était un vieux, désormais. La droiture du corps était factice. Il advenait que son dos penchât plus que nécessaire et qu’il portât fréquemment ses mains à ses reins comme pour en extirper la lourdeur. Certains de ses gestes s’imprégnaient d’une sorte de lenteur ou d’inexactitude. Il advenait que, voulant saisir un gobelet, il le renversât sur la table dressée pour les chefs ou que sa main fût prise de tremblements lorsqu’il voulait enfoncer dans son œillet le mordant 306 de sa ceinture d’armes. Il avait toujours le hurlement facile mais sa voix s’éraillait comme un fer sur la meule, et cette faiblesse-là, il la voulait compenser par des haussements du menton qui aggravaient la nonchalance involontaire de son état.
    – Il suffirait peut-être d’une chiquenaude… dit Paindorge.
    – J’aimerais que Teresa et Simon le voient.
    La personnalité du Breton, trop achevée à la guerre, s’était en quelque sorte affaiblie, comme si l’épée qu’il avait reçue des mains du roi lui avait fait une entaille et que celle-ci saignait, invisible et inguérissable.
    – Il a changé, c’est la loi de la vie. L’ost aussi a changé. Je ne saurais te dire, Robert, si c’est en mal ou en bien.
    Tristan ne se sentait plus en alliance avec ces guerriers comme il s’y était senti parfois naguère. Il ne reconnaissait, chez les soudoyers, aucun visage, et n’avait retrouvé chez les Grands que quelques éclats de voix. Le fait que les ducs et Louis de Sancerre fussent peu considérés chez la piétaille et que Guesclin souffrît d’une espèce de discrédit jusque parmi ses ouailles, presque tous jeunes et friands de prouesses, lui donnait autant de mésaise qu’à Paindorge.
    Jadis incontestée lorsqu’il n’était point connétable, l’influence du Breton s’était résorbée. C’était vers Sancerre qu’on se tournait ; c’étaient Anjou et Berry que l’on consultait quand ils se trouvaient en compagnie de Bertrand. Ces faits peu fréquents mais avérés paraissaient des étrangetés. La gloire du connétable semblait avoir fait son temps. À certains indices et certains regards qu’il sentait sur lui, Tristan soupçonnait Guesclin de se revancher un jour sur sa personne du mal être dont il souffrait et dont le remède ne consistait point dans la contemplation d’une épée hautement convoitée ni dans la certitude que Chaliers tomberait dès qu’il en aurait envie. Jadis, en son personnage, s’étaient trouvés combinés l’éclat de la santé, la jactance issue de celle-ci, la sonorité du verbe, la rudesse de la vigueur. Il avait désormais un pied, un bras, une hanche et une épaule dans les ténèbres. Il n’en était que plus lugubre.
    – Penses-tu, Castelreng, qu’il nous faut les assaillir ?
    – J’ai vu sur les parois moult hommes d’armes. C’est à toi de décider.
    Guesclin serra les dents. Son visage terrible et glacé se renfrogna davantage. Le soleil en déclin aggravait l’espèce de mélancolie qui figeait cette figure parsemée de taches de rousseur et dont les yeux cillaient un peu trop sans que les feux du crépuscule en lussent cause. Sur ces chairs à la fois tendues et bouffies, les pommettes piquetées d’une barbe de trois ou quatre jours semblaient deux châtaignes à peine mûres.
    – Tu devrais ôter tes plates 307 . Elles te pèsent.
    – Bah !… Tu n’as pas ce souci.
    – C’est vrai : je suis vulnérable. N’essaie pas d’en profiter. D’ailleurs ma foi en Dieu est la meilleure des

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