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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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armures.
    Tristan considéra brièvement les jambes arquées par des milliers de lieues de chevauchée, les mains de fer énormes à force d’avoir manié des armes pesantes. Le souffle impétueux du vent semblait vouloir arracher les cheveux du Breton et agrandir sa calvitie.
    – Vivre nu, Castelreng. Vivre nu sous le soleil d’Espagne… Nous aurions dû y demeurer. Toi avec ta Juive…
    – Je n’ai jamais besogné une Juive.
    – Tu en as eu la tentation.
    – Jamais… Toutefois, si cette envie m’était venue, ce n’est pas toi mon confesseur et sache-le : le remords ne m’eût point rongé.
    – Il valait mieux qu’elle disparaisse de ta vie.
    C’était un aveu terrifiant. Comme il s’en repentait peut-être – si toutefois le repentir était un élément de sa nature -, Guesclin, tout en ébauchant un signe de croix, parut rassembler toute la force de ses poumons pour s’ébaudir :
    – Pourquoi n’as-tu pas laissé cette grande huronne en Langue d’Oc pour venir au Puy avec ton seul fils ? Craignais-tu de te languir d’elle ?… As-tu vu comment je l’ai angoissée en te prenant une fois encore avec moi ?
    – J’ai vu, et par ma foi, tu le regretteras.
    Tristan comprit enfin ce qui les opposait : s’il était devenu chevalier par le sang et par des exemples puisés dans les récits de son père, ainsi que dans les livres, Guesclin n’était qu’un guerrier sans modèle, une valeur certes sûre, mais tirée du néant. La gloire convoitée par la plupart des prud’hommes répugnait à sa conception du service du roi : un office qui consistait seulement à occire encore et toujours pour prouver et se prouver sa force et en tirer profit. Comme nombre de chevaliers qu’il dépassait en astuce, sa singularité consistait à entretenir en lui une fureur de vaincre qui, désormais, subissait la loi de la décrépitude.
    – Allons-nous surquérir (430) Chaliers ?
    Tristan, qui s’attendait à une réponse prompte et positive, ne put que faire des conjectures sur le fond de la pensée d’un homme toujours acharné à la haine : les événements penchaient en sa défaveur. Désormais dépendant des princes, il ne pouvait agir à sa façon.
    – Il y a un conseil bientôt Viens-tu ?
    – Non, dit Tristan. Je suis venu céans contre ma volonté. Ma voix ne compte point ni d’ailleurs ma présence.
    Il se tourna vers le château à demi visible parmi les rochers et les arbres :
    – Regarde ces embrasures de pierre. Elles nous attendent aussi sûrement que le tombeau… Ce n’est pas ainsi que nous entrerons. À quoi bon monter aux échelles, piétiner le sang et les mourants ?… N’es-tu pas las de la guerre ?
    Un mot sortit de la bouche crispée, lent et comme étouffé :
    – Si.
    *
    Sancerre décida qu’on passerait aux actes.
    On dormit peu. L’aube vint. Touchées par ses rougeoiements, toutes les armes fourbies, brandies, s’embrasèrent par milliers. On eût dit qu’elles avaient servi. Cette illumination foisonna comme un incendie quand les hommes s’assemblèrent par compagnies derrière les bannières dont les couleurs pourtant vives ne pouvaient dominer ce vermillon aux luisances argentées. Avant même qu’ils eussent combattu, la masse impatiente des guerriers prenait un aspect dominateur que Tristan et Paindorge réprouvèrent. Leurs vêtements de bourgeois leur interdisaient les échelades.
    – Allons ! hurla Guesclin. Avant de le conquester, il nous faut cerner ce châtelet. Préparez-vous !… Depuis cette nuit, le trébuchet est en place.
    Les chemins et les petits champs dans lesquels l’armée s’était éparpillée autour de Chaliers, hors de portée des sagettes, réunirent leurs contingents d’hommes vociférants.
    –  À la mort ! À la mort !
    – Notre-Dame, Guesclin !
    – Polignac avec nous !
    Tristan se demanda si la terreur se répandrait promptement dans les âmes des assiégés dont il voyait, au crénelage, étinceler les barbutes et les cervelières. Autour de lui et de Paindorge, les commentaires violents, les controverses sur l’ardeur des adversaires, les rires aussi lamentables que les prochains pleurs et le cliquetis des aciers pointus ou tranchants se fondaient en une rumeur presque tangible d’orage sur le point de rompre la quiétude d’un ciel sans nuages. Au sommet du donjon, une bannière jetait un flamboiement discontinu sur cette matinée çà et là encore ombreuse, et les quelques oiseaux

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