Les spectres de l'honneur
bretons mais sont aussi terribles. J’accepte tout de tes hommes à la guerre, mais céans, dans mon logement, j’exige le respect à tous les Castillans… Et je ne veux plus voir ces deux-là rôdailler par ici où je les ferai pendre !
Puis à Sobrino, sans aucun souci des préséances :
– Qu’étais-tu, amigo, venu dire à ton roi ? Étais-tu à Séville avec l’armée de Pèdre ?
– Oui, sire.
Sobrino pouvait avoir trente ans. On l’avait dépouillé de ses habits de guerre. Jumelle et Cabus ? Il s’étonna de se voir entouré par des chevaliers de France et de Castille, et plus encore que certains d’entre eux fassent compatissants à sa malaventure. Levant le front et considérant Don Henri non point de sujet à suzerain mais d’homme à homme, il déclara, cherchant parfois son souffle :
– Sire, ne mettez pas en oubli d’ordonner vos gens pour attendre le combat, car vraiment le roi Pedro approche fort d’Orgaz. Il amène avec lui Sarrasins, Portingalois et Juifs et aussi moult hardis Chrétiens de Séville. Ils sont cinquante mille enragés à combattre. Le païen Aletaire, fils de Benemarine, n’a que vingt ans. Son corps est aguerri. Il ne redoute rien… sinon que vous fuyiez sans livrer bataille. Le roi Pedro a dit aussi que Guesclin serait près de vous…
– J’y suis, dit Bertrand.
– Le Bègue…
– J’y – j’y suis, dit Villaines.
– Le roi Pedro a dit que vous ne pouvez faillir à la bataille non plus que carême en mars. Le jeune More Aletaire ne s’est point ébahi. J’ai ouï cela car j’étais présent et j’ai vu le fils de chien, à genoux, regracier Mahomet ! Ces gens ne vous prisent tous le montant d’un épi.
Deux sergents emportèrent le déserteur avec des précautions extrêmes.
– J’irai te voir bientôt, Sobrino ! cria Don Henri avant qu’ils ne disparussent.
Puis, presque farouchement, il considéra ses hidalgos et les prud’hommes qui se pressaient, de plus en plus nombreux, autour de sa personne.
– Entre vous tous, seigneurs et mes amis, qui a un bon dessein ne me le cache pas. Il nous faut aviser brièvement et sans détours comment Pedro le félon peut-être accueilli ; s’ils ne sont tous confondus, je me verrai opprimé.
À plusieurs reprises, Guesclin se hissa sur les pointes de ses heuses :
– Ne soyez point troublé, Henri ! Si Dieu le veut, les gars seront tous occis. Nous vous livrerons Pedro avant que trois jours soient passés si vous voulez vous conformer tous à mon conseil.
Le Trastamare croisa les bras et considéra ses ricos hombres pour leur signifier, sans doute, que si le Breton prenait le commandement, c’était avec son assentiment, parce qu’il était le meilleur d’entre eux et qu’il n’avait qu’une volonté : se revancher de son échec à Nâjera.
– Seigneur, dit le Breton en portant sa dextre sur son cal 67 dont il n’avait pas noué la mentonnière. Messeigneurs, oyez bien ce que je vous dis !… Nous allons mener toute notre armée au-devant du roi Pèdre afin de ne pas perdre la cité de Toledo. Nous prendrons, s’il vous plaît, trois parts de cette armée. Nous laisserons la quatrième part à ce siège, à la garde de la reine et du bon archevêque. Nous lèverons assez de gens du plat pays que nous manderons tout incontinent en cet endroit-ci. Nous laisserons ces gens en notre lieu et place. Tous nos ennemis croiront que nous sommes demeurés où nous sommes alors que nous quitterons ces lieux dans la nuit. Nous manderons des gens d’armes de toutes les cités que nous verrons sans cesser d’avancer à la rencontre de Pèdre. Nous le déconfirons brièvement, lui et toute sa gent. Et ne les redoutez en aucun jour parce qu’ils sont nombreux, car s’ils sont assaillis à ma discrétion, vous verrez fuir les païens comme des larrons et les Juifs d’autre part et aussi les Chrétiens !… Car selon mon entendement, ils n’auront pas souci que l’un doit aider l’autre à son besoin. Les Juifs n’aideront pas les Mahoms et point ceux qui croient Mahomet ne les aideront : car ils ne sont point d’une même foi, ni tous d’un nom, et nous sommes, nous, tous unis en Jésus-Christ qui souffrit la male mort. Nous sommes des Chrétiens sans mélange d’autre race et voulons soutenir le droit et la raison. Et Dieu en qui j’ai confiance nous aidera ! Or, faisons-le ainsi et soyons tous prud’hommes. Je vous jure que jamais telle journée n’advint à
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