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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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homme selon son rang et son méfait… Chez nous, à Courtrai, le vendredi saint, la cité paye vingt-cinq écus à un pauvre homme pour représenter les souffrances de Notre Sauveur. On le mène en procession dans les rues, vêtu d’une robe violette, la tête couronnée d’épines, portant une lourde croix sur ses épaules. Douze religieux – six d’un côté, six de l’autre -, faisant office de bourreaux, le titillent par autant de grosses cordes qu’ils ont liées autour de son corps. Les tourments dont ils l’oppriment le feraient bientôt périr si un nouveau Simon le Cyrénéen ne survenait lorsqu’il est près de succomber sous le fardeau de sa croix. Il arrive à demi mort à l’église. Il ne pleure ni ne gémit sous les coups et se croit assuré de son salut, ce que n’ont point honte de lui faire accroire les clercs en redoublant de forcènement.
    – C’est une infamie commise contre Dieu lui-même !
    – Certes, Castelreng… Je conçois votre indignation… Mais que diriez-vous si vous étiez de Bruxelles ! Le vendredi saint, on y crucifie un homme… Or, du moins choisit-on pour remplacer le Christ un malandrin promis à l’occision. C’est à l’église des Augustins qu’on se réunit. On voit, au pied des autels, un échafaud sur lequel est élevée une croix haute de quatre toises. De part et d’autre sont dressées des loges pour les dames et les gens de qualité. Le reste de l’église est insuffisant pour contenir le peuple qui se presse, haletant, sur le parvis… La procession arrive. Elle est lugubre quoiqu’en musique. On y voit tout d’abord piéter les confréries de la Miséricorde, le visage embranché, les pieds nus, en coule. Ensuite les prisonniers parmi lesquels celui qui fut choisi pour Christ…
    – Vous me semblez aussi cruels que les routiers qui sont ici.
    Paindorge était dans le vrai, mais son propos fut sans effet sur Cabus. D’ailleurs, l’eût-il été que l’homme n’en eût pas plus souffert que d’un taillant d’épée de bois sur l’une de ses robustes épaulières. Il reprit avec une délectation tout aussi malséante que celle des truchements de Dieu dont il décrivait la passion :
    – Les captifs ont de gros boulets attachés aux pieds. Un par cheville… Puis viennent les religieux des Augustins habillés en Juifs…
    – Merdaille ! grogna Tristan. Toujours les Juifs !
    – Ils se font Juifs le temps d’une exécution… Au milieu d’eux se tient bientôt le représentant du Sauveur, lié, couronné d’épines, couvert d’une robe pourpre. Après l’avoir promené en procession, des clercs vêtus en bourreaux le mènent au lieu du supplice. Ils ont dans un panier qu’ils montrent à la bonne gent des clous, des marteaux et tous les instruments de la passion.
    – Le sacrilège est pour les gens d’Église !
    Tristan sentait monter son indignation.
    – Ils dépouillent l’homme, continua Cabus. Ils le font monter sur l’échafaud. Ils l’étendent sur la croix. Ils lui lient les pieds et les mains et placent, dessous, de petites vessies pleines de sang. Une fois percées par les clous, elles font croire au peuple que le crucifié subit les sévices de Notre Seigneur… À la vue du sang, l’assistance s’agenouille. Il advient que par erreur, on ait transpercé une paume, un pied… Le cri du faux Christ fait verser des larmes à tous ceux qui sont présents…
    – Et l’homme ?… Qu’en fait-on ensuite ? s’inquiéta Paindorge dont le cœur affleurait les lèvres.
    – On le pend… mais quand la foule est partie.
    – Ce martyr, dit Tristan dégoûté, mériterait de ressusciter pour se venger de cette fausse juiverie.
    – Pourquoi nous contez-vous tout cela, messire Jacquemart ? demanda Paindorge ébahi par la délectation d’un chevalier qu’il n’avait jamais pris en estime. Tout n’est qu’abus, comme vous dites ! Les Bruxellois mériteraient d’être bretonnés un bon coup !
    – Si je vous ai dit ça, dit Cabus, c’est que je voudrais que Pèdre soit crucifié.
    – Il ne t’a rien fait à toi, dit Tristan. Ni à moi.
    – Ni à moi, dit Paindorge. Ni à ceux de notre armée. Et même, après Nâjera, il eût certes pu planter son perce-mailles dans la gorge de Guesclin sans que le prince de Galles ait eu le temps de s’y opposer. Il ne l’a pas fait.
    – Bon, c’est vrai, dit Cabus avec une sorte de repentir qui n’était que de surface, il ne nous a rien

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