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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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jonchèrent la nuit de leur fleuraison mouvante. C’était un grand jardin de flammes qui maintenant se déployait à l’entour de Montiel. Un éphémère jardin que Pèdre, le cœur plombé d’incertitude, avait loisir d’observer.
    – Le roi Henri fait housser son cheval, dit Paindorge qui, selon son habitude, s’en était allé fureter. À ce qu’on dit, c’est un cheval gascon.
    – Il ne chevaucherait même pas un genet de cette Espagne qu’il prétend aimer et sur laquelle il régnera aussi mal sinon pis que son frère.
    Avant l’aube on fit mouvement. On avait divisé les troupes en deux batailles : l’avant-garde, composée de Bretons et des chevaliers de France sous le commandement de Guesclin ; la réserve derrière Henri dont la couronne d’or sommant bassinet étincelait aux lueurs des flambeaux comme une escarboucle tombée du ciel au plus sombre de la nuit. Il s’était vêtu avec recherche et pour avoir plus d’aisance, il avait préféré le haubergeon à l’armure. Une cotte de ciglaton 72 vermeil dissimulait en partie les anneaux des mailles treslies assemblées en doublier au col et aux épaules.
    Chevaliers de France, ricos hombres et piétons étaient encore trop éloignés de Montiel pour exprimer leurs conjectures sur ce qui se passait au château. Tristan, comme Paindorge et tant d’autres, était certain que Pèdre avait fait lever sa bannière et dépêché des coureurs en tous sens afin qu’ils rabattissent à l’entour de la forteresse les troupes dispersées dans les campagnes. On en vit, rapetissés par l’éloignement et trahis par leurs torches, quitter les pentes à toute bride. L’armée s’arrêta comme pour leur laisser le temps de disparaître.
    Henri hésitait. Une fois qu’il eut mis pied à terre, il réunit ses capitaines et en leur bon milieu, afin d’être entendu par tous, il haussa la voix :
    – Amis et compadres  !… Si j’avais suivi les conseils de Guesclin à Nâjera et si Tello n’y avait fui, la bataille que nous allons livrer ce jour d’hui n’aurait pas eu lieu… Je ne puis penser sans douleur à tous ceux qui moururent à Navarette. Il fallait sans doute que ce malheur nous advienne pour que nous puissions, ce mercredi, affirmer notre valeur et notre foi chrétienne à cette tourbe juive, arabe… chrétienne aussi, hélas ! mais chrétienne dévoyée qui nous attend à Montiel.
    Il y eut les habituels grondements et le cri sans faille de Villaines : « À la mort ! À la mort ! » Le silence revint. Henri reprit d’une voix plus suave mais qui de mot en mot s’affermissait :
    – Messeigneurs !… Au nom de Dieu tout-puissant, pensons d’exploiter et d’aller avec sagesse tant que nous trouverons Pedro et sa compagnie afin qu’il ne s’enfuie. S’il n’est pris ou mort, il nous grèvera encore, car il a trop de gens. Il est allié aux païens et nous les a amenés avec les Juifs et d’autres peuples 73  !
    « Encore ! » songea Tristan.
    – Il ne nous faut point passer la mer pour trouver les Sarrasins !… Ils nous verront à leur péril. Ce jour d’hui, nous conquerrons certainement honneur. Le plus pauvre qui soit entre nous sera riche à toujours si la mort ne le prend, et celui qui mourra obtiendra son salut. Adonques que chacun soit prud’homme et hardi sans redouter la mort, car on sait de certain qu’il faut mourir une fois si l’on ne sait comment… Agissez en suivant vos lumières, en usant de votre force et de votre sagesse ! Je cesse dès à présent d’être votre suzerain pour devenir votre compère. Enfin, je ne me regarderai jamais, et vous tous le comprendrez comme moi, pour un prince digne de porter la couronne et de régner sur la Castille si je ne sais pas vous imiter dans cette importante journée.
    Guesclin s’apprêtait à parler. Un murmure l’en empêcha. Un murmure qui, d’un coup, devint tumulte et flua jusqu’au fin fond des troupes, y suscitant aussi une rumeur d’allégresse. On ignorait de quoi il s’agissait, mais puisque les voisins riaient et hurlaient, il fallait bien rire et hurler. Ces transports de joie et d’allégresse laissèrent apparaître enfin les ovations coutumières :
    – Vive le roi !
    –  Viva el rey !
    – Castilla por el rey Enrique !
    – Viva Guesclin !
    Le Breton hurla :
    – Que toutes vos bannières baloient et ventilent 74  !
    Il se chargea incontinent du poids de l’entreprise :
    – Oyez, mes bons compères,

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