Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
fait.
    – Alors que faisons-nous, mes frères d’armes, dans cette armée ?
    Tristan considéra, sous la cervelière de mailles, le profil pâle et contraint de son écuyer puis celui de Cabus figé dans une sorte d’insouciance. Aucun d’eux ne s’anima pour lui fournir une réponse.
    Il s’apprêtait à parler, à révéler à ce médiocre chevalier du Nord qu’il suivait Guesclin contre sa volonté avec l’espoir insensé de le voir en péril de mort, mais Cabus parut renaître à la vie. Les frémissements de sa résurrection incommodèrent son cheval qui fit un écart et rua.
    – Holà ! fit-il. Holà ! Artevelde !… Sois quiet… Nous devons aller jusqu’au bout de notre randon et revenir chez nous !
    Et tourné vers Tristan :
    – Je ne sais plus, tant tu es baratière, ce que je fais dans cette armée. Ce que je sais, c’est que la désertion est une ignominie… Chantons !… Chantons amis pour nous donner du cœur au ventre.
    – L’envie ne m’en vient pas.
    – Ni à moi, dit Paindorge.
    Cabus se mit à rire. Il était redevenu, presque sans transition, un chevalier d’aventure sans foi ni loi ni scrupule, et sa chanson vola au-dessus des têtes dont aucune ne remua :
    Regnaut de Montauban trouvant sa mère morte
    Il lui souffle au potron et se la réconforte (381) …
    « C’est peut-être la mort, songea Tristan, qui bientôt soufflera dans ton cul son haleine infernale ! »
    *
    – Nous les vaincrons. Ils ont huit ou neuf journées de pays dans les jambes. Et leurs chevaux aussi !
    Subitement, en plein après-midi, Don Henri avait décidé de ce qu’il nommait un conseil bien que ce fût surtout une halte pour soulager ses reins endoloris. Son inquiétude gagnait en pesanteur et en force. Sous son armure et sa jactance, il se sentait nu et fragile.
    – Pèdre, messires, chevauche à grand-puissance sur nous. Il a quarante mille hommes. Trop nous pourrait grever s’il venait par avis jusqu’à nous et si nous allons à lui sans qu’il le sache. À partir de maintenant, nous le prendrons bien, lui et ses gens, en telle part et si dépourvu que nous aurons l’avantage. Ils seront déconfits, je n’en doute mie. Nous allons donc nous hâter.
    Cela, c’était le langage de Bertrand, muet pour une fois.
    – J’ai mes espies allant et venant qui savent et rapportent avec soin le convenant 71 de Pèdre et de son ost, et affirment que le tyran ne sait rien de nous. Il va droit sur Montiel, suivi de ses alliés assez esparcement… Il se peut qu’il y soit déjà. Que chacun de vous s’apprête. Nous sommes à une marche de Montiel.
    *
    – Montiel, dit Tristan alors que Paindorge l’aidait à s’adouber. Ce nom me plaît. Il a quelque chose de noble.
    L’écuyer avait erré parmi les hommes. Il était revenu ébaubi de ce qu’il avait entendu et que Don Henri n’avait point révélé : Pèdre était dans Montiel. Il avait permis à ses troupes de se répandre à l’entour du château pour obtenir des vivres et du fourrage. Certaines s’étaient éloignées de plusieurs lieues. Avant même qu’une bataille eût été engagée, la dispersion de l’ennemi était complète. C’était pourquoi Henri voulait agir vélocement : il pouvait enfoncer les défenses de Pèdre et capturer celui-ci.
    Sous la double conduite du Castillan et de Guesclin, l’armée repartit en silence. La nuit vint ; celle du 13 au 14 mars (382) .
    Quand, à la fade clarté des étoiles, on fut en vue de la forteresse érigée sur une montagnette abrupte, Guesclin qui chevauchait en avant-garde fit enflammer les torches afin qu’en s’avançant à travers champs il indiquât la voie au reste de l’armée.
    Les feux se multiplièrent. Tristan imagina les guetteurs de Montiel frappés de stupeur par ce grand mouvement de feux à une lieue, dans la sierra. Amis ? Ennemis ? Le commandeur Garci Moran qui régnait sur la forteresse devait en ce moment réveiller Pèdre et l’adjurer peut-être de s’enfuir : «  Sire, ces feux sont ceux du bâtard ! Partez : il en est temps ! » Que répondait Pèdre ? Hurlait-il : «  Arma ! Arma ! » ou restait-il quiet dans le creux de son lit en se disant et répondant : « Ce sont les nôtres qui accourent  » ? Sans doute allait-il désigner quelques genétaires pour en savoir davantage (383) .
    Les chevaliers mirent pied à terre, les piétons s’assirent ou s’allongèrent sur l’herbe et le rocher. Les torches

Weitere Kostenlose Bücher