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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’épaule.
    – Dix jours, soit… Encore un peu de vin ?
    – Non, sire, dit Villaraz. Nous boirons le calice jusqu’à la lie.
    Les trois hommes se juchèrent malaisément en selle. Et s’en allèrent.
    « Nous aurions pu », songea Tristan, « tenir leur bannière le temps qu’ils chaussent l’étrier… Nous aurions pu offrir à ces trois roncins de l’eau et quelques poignées d’avoine. Des gens ordinaires l’eussent fait ! »
    Il ne côtoyait que des princes et des chevaliers d’aventure. Il n’avait vu aucun cœur sur leurs bannières, ce qui ne signifiait pas qu’ils en dissimulaient un dans leur poitrine.
    – Je n’aime pas cela, dit Guesclin. Dix jours !… Pèdre est en train de nous truffer ! Il faut eschargueter 95 davantage.
    Il fît immédiatement doubler les gardes et leur enjoignit de rester silencieux dès la vesprée afin qu’on entendît mieux tout ce qui se passait là-haut. Les guetteurs obtempérèrent. Les nuits ne furent plus percées que par des jurons d’hommes et des cris de souffrance : des murailles quelqu’un tirait à l’arbalète dans les ténèbres les plus noires sans jamais manquer les audacieux qui, contrevenant aux mandements de Henri et Guesclin, montaient jusqu’au pied des murailles afin d’insulter Pèdre d’aussi près que possible 96 .
    Négocier avec Don Henri ? se disait-on à Montiel. C’était inutile. Négocier avec ses mercenaires ? Il fallait essayer. On apprit que Pèdre en avait chargé Men Rodriguez de Senabria, l’ancien gouverneur de Briviesca, de sinistre mémoire – tout au moins pour Tristan. Il était né dans le comté de Trastamare. Il avait donc pour seigneur naturel Guesclin a qui Don Henri avait conféré ce titre qu’il portait avant son couronnement. Pour obtenir son dévouement, le Breton avait offert 5 000 florins à Senabria dont on ignorait toujours s’il les avait acceptés. Le supplice des quelque deux cents Juifs enfermés dans l’église de la cité, puis brûlés vifs sur l’ordre du Breton, demeurait sans doute intact dans sa mémoire 97 .
    Le lundi 19, à midi, Tristan vit l’Espagnol approcher des fossés et demander aux Mauny, réunis devant un feu où cuisait un mouton, de s’entretenir avec Guesclin. Olivier courut chercher son cousin. Il ne tarda pas à paraître.
    – Que voulez-vous, amigo ?
    La bienveillance n’était pas feinte. Même s’il le prenait pour un idiot, Bertrand se merveillait pour cet homme qui lui avait refusé 5 000 florins afin de demeurer dans un grand état de pureté de cœur et d’esprit au service de son suzerain.
    – J’aimerais, messire, que vous m’accordiez une collation 98 particulière.
    Tristan ne pouvait voir le visage du Breton, mais il l’imaginait. Ses yeux devaient pétiller de joie et de malice et son nez frémir comme le museau d’un chien sur les fumées d’une bête noire. Et de songer :
    « Il va l’entraîner sous son pavillon. Présentement et pour longtemps, nos hommes s’occupent de manger sans souci d’autre chose… Sans doute va-t-il faire appeler Henri qui accordera sa protection à cet hidalgo. »
    La réponse du Breton différa de celle, toute simple, qu’on eût pu en attendre :
    – Ah ! Bigre… Oyez, amigo  : revenez cette nuit. Mes hommes vous accorderont le passage. Vous viendrez sous mon tref, et n’ayez crainte : vous en repartirez tranquillo.
    Si Guesclin faisait en sorte de n’être point vu avec cet émissaire du roi Pèdre, c’était assurément pour tenter de mettre à son seul profit les propositions plus qu’appétissantes dont Men Rodriguez était porteur.
    Tristan se sentit soudain percé par le regard du Breton :
    – As-tu ouï, Castelreng, ce que je viens de lui dire ?
    – Oui. Mes compères et moi laisserons passer messire Senabria et je le mènerai sous ton tref… Surtout, qu’il prenne pour venir le chemin qu’il vient de prendre. Paindorge et Cabus veilleront céans lors de mon absence.
    – Je prendrai ce même chemin, dit Senabria dont le genet fourbu commit une bronchade.
    Comme les trois précédents ambassadeurs, il paraissait perdu dans son insignifiance. La même vergogne, la même fatigue avaient eu raison de son orgueil. Hâve, mal rasé, les yeux bouffis de sommeil, il n’osait mettre pied à terre de crainte, sans doute, de chanceler. Dans ses vêtements de bourgeois apprêté pour la messe, il donnait une impression d’essoufflement sous laquelle le découragement

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