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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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se référait point à l’Éternel, sachant qu’il intervenait rarement dans les querelles humaines. Il ne se fiait qu’à lui-même avant même le roi de France que la rumeur et l’Église considéraient comme le substitut du Très-Haut. Plutôt que d’être le satellite d’un suzerain qui, disait-on – mais était-ce vrai ? -, détenait sa majesté de Dieu lui-même, il avait fait en sorte de devenir son ombre vivante, presque son égal, à tout le moins son poing armé.
    « Je le hais !… J’ignorais ce que pouvait être la haine. »
    Voire… N’y avait-il pas eu Naudon de Bagerant et les routiers de Brignais ? N’y avait-il pas eu les auteurs de l’enlèvement de Teresa et de Simon pourpensé par Flourens ? Et frère Bérenger Gayssot ? Et d’autres…
    Les chevaux remuaient parfois nerveusement. Ils avaient faim et soif. L’eau, le faing 135 , le feurre 136 et la cévade 137 manquaient. Cependant, comparés à leurs semblables d’en-haut, ces bêtes étaient chanceuses.
    – Que fait-il ?
    Non, Paindorge ne tardait point. Il fallait que ses agissements fussent des plus naturels pour déjouer l’attention des queux et de leurs aides. Au loin, des chants montaient assaisonnés de rires. Ils devaient atteindre les défenseurs de Montiel, lesquels pourraient, dès la prochaine aurore, débattre de leur liberté – les Juifs exceptés. Sous le vacarme des voix victorieuses perçaient peut-être, çà et là, certains remords.
    – Qu’il se hâte tout de même !
    Le danger n’avait point d’heure. Ni de lieu. Un palefrenier, un écuyer, voire un chevalier de Castille ou de France inquiet du sort de sa monture pouvait survenir et s’écrier : «  Que fais-tu céans ? » La suspicion, dans un ost de truanderie, ne connaissait aucune mesure. Cet homme, il faudrait qu’il l’occise… Voir sa chair désarmée dans l’immobilité. Il était contaminé…
    – Carcassonne… Ah ! Oui, Carcassonne…
    Le marché – il y revenait – déployé dans les rues et comme amassé sur le terre-plein de la barbacane où quelques hommes d’armes veillaient. Oublieux des cris, meuglements et vacarmes, insoucieux des odeurs des légumes et des fruits dont le soleil pesant semblait vouloir exprimer jusqu’à la dernière goutte de jus, il aimait à se replonger dans son asile de prédilection : les ruelles. Piétinant la fange des ruisseaux, il observait, dans les courettes où le soleil parvenait à décocher une flèche, les enfants de son âge occupés à jouer aux dés, aux osselets, aux jonchets. Parfois, quelques clercs marchaient à sa rencontre, piétant vers Saint-Sernin, Saint-Nazaire ou, au-dehors, Saint-Gimer de ce pas vif des indésirables puisque, depuis l’extinction des patarins et de leurs Parfaits, on admettait mal encore la présence des gens de soutane. Il ne savait que penser de ces tonsurés. Il allait, infatigable, d’une placette où s’exhibaient des jongleurs à un carrefour où jacassaient des marchands d’oiseaux et de remèdes miraculeux. Tel un couteau dans la chair, il s’enfonçait dans les bruits et la foule parce qu’il les méprisait. Jouvenceau accoutumé, sur les murailles ou dans les champs de Castelreng, au friselis des feuillages et au bruissement du Cougain, il connaissait mieux les animaux et leurs mœurs que les êtres humains, leurs us et coutumes. Et s’il observait d’un œil sec les dames et les donzelles, il éprouvait du respect pour les femmes de la campagne, vêtues de noir des sabots jusqu’à leur vaste capel de paille, comme si toutes souffraient d’un deuil inconsolable. Non point celui d’un parent trépassé, mais le deuil d’un Sauveur défunt, carbonisé par l’intolérance, différent de Celui dont le fils figurait sur la Croix, au tréfonds des églises comme au creux de la chapelle de Castelreng.
    Tout autant que ce deuil, il comprenait l’entrain des Carcassonnais et des marchands du dehors. Après la longue éclipse de mort et de déraison perpétrée par les Chrétiens de Montfort, des sentiments nouveaux étaient entrés en Langue d’Oc. Si la scolastique catholique continuait de s’exercer parfois, pour les enfants, par la menace, l’insolence, chez les vaincus de naguère, remplaçait les armes détournées au profit du roi de France. La palinodia, la chanson, la continuité de l’emploi du langage ancestral permettaient de savourer cette sorte de renaissance et de fonder sur elle des raisons de vivre un

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